Le père Bertrand Bourran à Tsarahasina, dans le nord de Madagascar. Le père Bertrand Bourran à Tsarahasina, dans le nord de Madagascar. 

Le père Bourran, 27 ans de mission à Madagascar

Il a passé 27 ans à Madagascar, envoyé sur place par les Missions étrangères de Paris (MEP). Avant son retour en France en 2024, il passa près de 15 ans à Tsarahasina dans le diocèse de Port Bergé, au nord de la Grande île, un diocèse rural de la taille de Djibouti. À l’occasion du Jubilé du monde missionnaire organisé ces 4 et 5 octobre à Rome, nous donnons la parole au père Bertrand Bourran.

Marie Duhamel – Cité du Vatican

À un prêtre qui lui demanda un weekend s’il ne voulait pas devenir prêtre, l’adolescent qu’il était lui répondit immédiatement, «non, je veux être missionnaire !» À 14 ans, Bertrand Bourran avait une idée claire de sa vocation, sans cependant trop y croire. Originaire d’un petit village rural des Landes dans le Sud-Ouest de la France, «je ne croyais pas que c’était pour moi», explique-t-il. Il fait des études pour exercer dans le monde agricole, tout en restant en ouverture sur le monde, par exemple lors d’un voyage en Inde, et attentif à son appel. Il participe au congrès missionnaire de Lisieux en 1983. Mais ce n’est qu'au retour de son année de service militaire en coopération à Madagascar que, interpelé par le travail des prêtres, des missionnaires et des religieuses sur place, il décide d’entrer au séminaire, pour faire connaître Jésus à tous ceux qui n’en ont, à sa grande stupeur, jamais entendu parler.

Les Missions étrangères de Paris, qui ont entendu son souhait de rester dans un milieu rural, l’envoient à Madagascar en 1995, non pas dans les plateaux qui sont évangélisés depuis longtemps, mais sur la côte où les chrétiens sont rares.

Entretien avec le père Bertrand Bourran des Missions étrangères de Paris.

Quelles furent vos premières impressions, à votre arrivée dans ce pays pauvre mais aux mille richesses?

Ce qui m’a frappé c’était le mode de vie des gens, leur simplicité, leur accueil de l’Évangile. Certaines ethnies y étaient très réticentes tandis que d’autres en revanche en avaient soif. Les Malgaches, il faut dire, sont religieux. Ils ont une relation au Dieu créateur. Ils croient déjà en un Dieu unique, et à une vie après la mort. Donc c’était plus facile. Mais c'est l'ouverture des gens et les gens sont réceptifs à l'Evangile certain.

Comment expliquez-vous qu'ils aient été, pour certains, si réceptifs ? Comment comprendre cette soif de Dieu dont vous parlez ?

Les Malgaches, en particulier ceux qui vivent sur les côtes et qui ne sont pas chrétiens, vivent dans la peur des esprits, des rites de possession, de changer des manières d’être, de vivre, de culture. On doit vivre comme les ancêtres ont vécu. Ils sont tournés vers le passé et Jésus-Christ les libère de cela. Jésus nous offre la vie éternelle, il nous amène à regarder l'avenir. D’ailleurs quand des Malgaches de la côte deviennent chrétiens, c'est un changement total de vie, de vision du monde, d'approche de l'autre, de la relation à l'autre qui s’opère.

Comment avez-vous fait pour les amener à connaître et à aimer Jésus-Christ?

Pour moi, notre manière d'être y est pour beaucoup, et plus particulièrement d’être en relation avec eux. Nous étions proches d’eux, simplement, tout en manifestant du respect à leurs égards. Et puis, nous avons beaucoup travaillé avec les sœurs afin de développer des écoles, des dispensaires ou de mettre sur pied des formations, médicale, agricole ou pastorale. C'est la manière dont on s'occupe d'eux, je pense, qui les marquent.

Un étranger qui vient par amour, donner gratuitement, j'imagine que ce n'est pas quelque chose de banal pour eux...

À Madagascar, on est le blanc, l'étranger. Et le fait qu’on ait quitté la terre de nos ancêtres, une terre dont ils savent, grâce à la télévision, qu’on y vit de manière aisée et où la vie leur semble plus facile, pour se retrouver dans de simples cases avec eux, afin de s’occuper d’eux, ça leur pose question. On me demandait: «mais quel est l’amour qui vous fait faire ça ?». Ils savaient que nous étions chrétiens et nous posaient des questions. Ainsi, ils découvraient Jésus-Christ.

Le père Bertrand de Bourran supervise les travaux d'une école dans le nord-est de Madagascar..
Le père Bertrand de Bourran supervise les travaux d'une école dans le nord-est de Madagascar..

Ces rencontres était votre quotidien lors de vos tournées, mais pas le leur. Ils étaient, eux, dispersés dans des dizaines de villages isolés. Comment est-ce qu'on annonce Jésus au quotidien quand on est très peu de prêtres pour couvrir un immense territoire ?

Quand je suis arrivé dans le diocèse en 1995, il y avait sept prêtres pour un diocèse de 23 000 km2. Nous, nous étions quatre prêtres dans une paroisse. Sur 10 000 km2, se trouvaient 90 églises et chapelles. On avait des églises à 100 kilomètres au nord du presbytère et à 100km au sud. Donc nous allions en effet visiter les communautés. Tous les jours, nous changions de villages.

Quand j'arrivais dans un village à pied, souvent sac à dos, on parlait systématiquement de la pastorale, de l'école, d'ouvrir des routes et on parlait de santé pour aider les gens à se lever, à se mettre debout et à devenir responsables. Mais dans chaque communauté, il y avait le président de la communauté qui s'occupait de ce qui était matériel, un catéchiste responsable de ce qui était spirituel, et les enseignants du catéchisme.

Dans les villages, on célébrait la messe une, deux ou trois fois par an, mais le catéchiste faisait le lien et animait la prière tous dimanches. Tous les dimanches, ils se retrouvaient autour de la Parole de Dieu. Ils s’évangélisaient entre eux et nous, les prêtres et les religieuses, nous étions tellement peu que, finalement, on se contentait d’accompagner le mouvement.

Le père Bertrand Bourran avec sœur Sylvie.
Le père Bertrand Bourran avec sœur Sylvie.

En 27 ans de terre malgache, vous avez construit des églises, des dispensaires, des écoles, vu des enfants de la brousse aller, pour certains, jusqu'à l'université. On imagine la joie, mais peut-être aussi les difficultés…

Quand on ouvrait une école, on ouvrait une montagne de problèmes, mais ce qui nous mettait en joie et constituait mon moteur personnel, c'était de voir des gens qui s'engageaient, qui demandaient le baptême, et qu'on accompagnait. J'ai connu des villages où on se réunissait à une ou deux familles dans la maison. On célébrait par terre, dans la case. Et puis, on a construit une église, une deuxième plus grande et une troisième.

Des difficultés, il y en a eu. On a beaucoup sué sur les chemins, avec la chaleur, dans la boue, mais le sourire des gens, leur joie qu'on arrivait dans les villages, cela nous récompensait de toutes les difficultés éprouvées pour arriver jusqu’à eux. Et c'était le bonheur de les voir grandir dans la foi.

Une dernière question sur le profil du missionnaire du XIXe siècle, quel est-il selon vous ?

Pour moi, le missionnaire est un homme libre dans un diocèse dont il n'est pas originaire. C’est un homme libre qui ose poser les questions là où il n'y en a pas ; qui ose regarder ce qui se passe avec un autre regard pour ouvrir de nouvelles portes et de nouvelles pistes d'évangélisation. C’est un homme libre qu'on n'emprisonne pas dans la structure et qui pose un nouveau regard sur le travail qui est fait dans l'Église aujourd'hui, dans tous les pays.

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03 octobre 2025, 18:32