Hommages place de la République, à Paris, le 13 novembre 2025. Hommages place de la République, à Paris, le 13 novembre 2025.   (AFP or licensors)

13-Novembre: de la douleur à la douceur, la nuit de l’espérance à Paris

L’église saint-Ambroise dresse ses tours depuis 150 ans dans le ciel du 11e arrondissement parisien. Le 13 novembre 2015, ce quartier est le plus meurtri de la capitale française, plusieurs de ses terrasses de café et la salle de concert du Bataclan sont ciblées par la barbarie du terrorisme islamiste. La paroisse fait mémoire des 130 victimes en organisant «une nuit de l’espérance» ce jeudi soir. Entretien avec son curé, le père Pascal Nègre.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

Pour quelles raisons avoir organisé cette nuit de l’espérance?

Depuis dix ans, notre église, située à deux pas du Bataclan, est devenue un symbole et un refuge. Ainsi, de manière ininterrompue depuis dix ans, des personnes viennent se recueillir dans une chapelle où se trouvent les noms des 130 victimes des attentats. En arrivant comme curé il y a cinq ans, j'ai constaté combien cette chapelle, que l'on est en train de restaurer, était l’un des lieux les plus fréquentés de l'église. Des bougies brûlent sans cesse. J'ai aussi mesuré combien depuis, la douleur est encore très vive et les images très fortes. Cela nous a interpellés.

Bien sûr, nous avons tous les ans la messe du 13 novembre pour les victimes des attentats, mais la question était cette fois-ci la suivante: comment une église, à l'occasion de ces dix ans, peut-elle dialoguer avec une salle de concert qui est un autre genre de bâtiment? Comment une paroisse répond à l’horreur qui a ensanglanté les rues, et dont beaucoup de paroissiens sont aussi des victimes, au moins collatérales? Que doivent dire les chrétiens face à cet abîme?

Nous pouvons juste, et c’est déjà beaucoup, pleurer avec ceux qui pleurent. Parfois, la douleur si vive de la blessure impose que l'on ne fasse pas grand-chose d'autre. Mais en voyant arriver cet anniversaire, j’ai entendu les mots du prophète Isaïe: «Consolez, consolez mon peuple.»

Nous avions donc besoin de trouver une réponse, comme paroisse qui accueille sans cesse des gens venant pleurer, se recueillir ou espérer. Il est apparu de manière assez évidente que nous devions être, au milieu du quartier, l'Église qui ouvre les bras à ses enfants qui pleurent. De la même façon que lorsque cela arrive parfois à la messe: quand un enfant hurle parce qu'il est tombé et que sa mère le console simplement en lui ouvrant les bras. Nous voulons répondre à la douleur par la douceur, à l'horreur de ces attentats par la beauté et ouvrir un chemin de vie dans cette impasse du non-sens.

Quel souvenir encore vif demeure dans le quartier de cette nuit de douleur?

Je remarque qu'il y a deux signes dans notre quartier. D’abord, les larmes très vives de la douleur. J’ai même pu voir des élus qui, dix ans après, ne peuvent pas en parler sans pleurer. Des paroissiens pourtant très réguliers me confient aujourd’hui: «Le 13 novembre, je ne peux pas venir à la messe, c'est trop violent». Des commerçants du quartier me disent: «Ce jour-là, je disparais à Eurodisney parce que j'ai perdu ma femme à telle terrasse de café».

Et puis simultanément, à cette douleur se rajoute une autre douleur qui fait qu'ils attendent quelque chose de nous. C'est la douleur potentielle de l'oubli. Beaucoup de familles de victimes en particulier, surtout des personnes qui ne sont pas chrétiennes, remercient la paroisse, car elles sont très touchées qu’au milieu du quartier, l'église garde vive une chapelle de mémoire. Elles ne veulent pas qu'on ajoute à la douleur permanente du deuil, la douleur de l'oubli. Cela créé une grande attente que je perçois comme une réelle espérance. D'ailleurs, le ciel étoilé de bougies qui, de manière ininterrompue, brillent dans cette chapelle est le signe que la mémoire vive de ces personnes veut demeurer et qu'une lumière brille quelque part dans cette nuit obscure. Il faut garder vif cet amour qui ne meurt pas.

Les gens perçoivent qu'il y a quelque chose. À la messe du 13 novembre, beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes nous disent combien les mots de la Parole de Dieu ou la beauté du chant ont été pour eux une réponse déterminante.

Comment va se dérouler cette veillée, à quoi va-t-elle ressembler?

Ce ne sera pas tout à fait une veillée de prière car nous nous sommes demandés comment parler à des non-chrétiens, tout en annonçant l’espérance chrétienne et en faisant droit au cri des hommes face à la violence et à l'insupportable violence du péché.

Il y a d’abord la messe à 19 heures, car c’est notre première mission. Les gens attendent le moment où simplement pendant le mémento des défunts, les noms des victimes sont égrainés. C’est un instant recueilli et très beau.

Nous prolongerons cette messe par une œuvre originale adaptée et créée pour les circonstances, qui est une alternance de chefs d'œuvres de la musique sacrée et de textes. Toute une création lumineuse va suivre pendant deux heures, l'itinéraire d'un cœur brisé, comme l'Écriture Sainte en comporte beaucoup, et le répertoire de la musique sacrée.

En partant du cri de l'homme et en assumant un certain désespoir, pour mener, au fur et à mesure de cet itinéraire, jusqu'à l'explicitation lumineuse de l'espérance chrétienne. Le biais du beau, de la musique sacrée et des textes que tous connaissent le permet. Charles Péguy et Jean-Sébastien Bach parlent à tout le monde.

Cela propose un chemin réel dans une impasse, sans être surplombant, qui fait droit à la douleur et qui nous mènera jusqu'à un troisième temps de cette nuit qui est l'accueil du Ressuscité. Après ces deux heures d’oratorio, le Saint-Sacrement sera accueilli pour une autre traversée jusqu'au petit matin de la Résurrection, du 14 novembre. Une nuit d’adoration et d’espérance.

Le choix de cette traversée est en réalité une suggestion implicite des associations de victimes que nous avons vues et qui nous ont dit vouloir traverser cette nuit sans en être prisonniers. «Offrez nous un chemin dans lequel on puisse venir, sortir, repartir, écouter, prier pour ceux qui le veulent, se recueillir.» Nous tenons notre rôle de chrétiens au milieu d'un quartier qui ne l'est pas, pour beaucoup, mais en portant, grâce au talent assez exceptionnel du chœur Ephata et des artistes qui vont intervenir, tout un itinéraire de salut, mais qui passe aussi par les larmes du tombeau.

Quel écho rencontre cette initiative parmi les Parisiens?

Je suis encore une fois très surpris que les tracts, les affiches, les échanges qu'on a dans le quartier avec toutes sortes de personnes soient extrêmement bien reçus, avec beaucoup de reconnaissance. Précisément parce qu’il n’y a peut-être pas de prosélytisme écrasant ni de récupération de quoi que ce soit, mais que l’on a travaillé cette immense délicatesse que le chrétien doit avoir d'ailleurs, que toute humanité devrait avoir en face de celui qui souffre. Quelqu'un qui a mal, c'est sacré. Tout le monde a eu mal et donc nous voulions en chrétiens, apporter la consolation à tous. Tous ont été blessés. Il n'y a pas de raison que la consolation soit réservée à certains ou à un club de chrétiens.

Et je vois que là, le fait d'assumer simplement qu'on est une paroisse, et que, bien sûr nous célébrons une messe, qu'elle est prolongée et que nous avons des choses à dire, est reconnu. Car nous avons choisi de le faire par le biais respectueux, délicat, d'une église ouverte où chacun peut entrer et sortir. Le vecteur très puissant du beau, du doux et de la musique sacrée ou des grands textes de la littérature française est un vecteur magnifique pour toucher tous les cœurs.

Tout le monde a eu mal. Beaucoup sont encore animés par la peur. Comment répondre à cette peur persistante?

Jamais dans l'Évangile à quelqu'un qui a peur, le Christ répond qu’il ne faut pas avoir peur. On ne peut pas commander un homme, on n'a pas prise sur une âme. Ce que je sais, c'est que la réponse à la peur que le Christ donne, c'est sa présence. «N'ayez pas peur, c'est moi.» Nous vivons comme chrétiens, en porteurs de la joie du monde ou de la paix du monde, nous vivons d'une présence qui est le Christ. Saint Paul dit: «C'est le Christ, notre paix et ce que nous voulons». Par le beau, par le sacré, par la présence même des paroissiens. C'est manifester à ceux qui ont peur qu'ils ne sont jamais seuls et qu'il y a une présence qui répond à la peur. C'est la présence du Sauveur.

C'est pourquoi j'invite mes paroissiens à venir, qu'ils se sentent concernés ou pas par le Bataclan ou les attentats. En réalité, tous sont concernés. Je les invite à venir parce que c'est une nécessité d'être, pour ceux qui ont le plus peur et qui sont encore terrorisés, le signe dans ce monde de la présence du Ressuscité. Lorsqu'elle pleure devant le tombeau, Marie-Madeleine n'est pas consolée par une information. Elle est consolée par une présence et par un visage. Nous sommes garants de montrer ce visage au monde.

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12 novembre 2025, 11:44