Les «Baroudeurs du Christ», ceux qui osent tout par amour

Ils ont quitté leur famille, leurs amis, leur carrière pour se rendre dans leur pays de mission à l’autre bout du monde, où il se sont mis au service de leurs prochains. L’histoire des prêtres des Missions étrangères de Paris est sortie en salle en France ce mercredi 5 novembre. Un documentaire revigorant réalisé par Damien Boyer.

Marie Duhamel – Cité du Vatican

«Vous serez mes témoins jusqu’aux confins de la Terre». Une mission à laquelle se sont attachés 4 100 prêtres des Missions étrangères de Paris depuis 1658. Un documentaire, sorti ce mercredi 5 novembre au cinéma à travers la France, se propose de raconter leur histoire, par le biais de lettres vibrantes rédigées par les premiers missionnaires et choisies dans les riches archives des MEP, mais aussi en suivant cinq missionnaires des temps modernes, envoyés en Corée du Sud, en Inde, au Cambodge, à Taiwan et Madagascar.

Les récits passés et présents s’entremêlent témoignant du même zèle apostolique, en dépit du contexte historique. «Les missionnaires ne sont pas relégués aux pages sombres de l’histoire coloniale», explique la production du film. Loin de tout esprit de conquête ou de domination culturelle, on découvre des hommes vulnérables mais qui, forts de Dieu, sont donnés à ceux qui les entourent.

Une vulnérabilité féconde

Impressionné lors de tournages de jeunesse par les compétences linguistiques et les liens d’amitié que les missionnaires étaient parvenus à créer avec des populations autochtones, le réalisateur du documentaire tenait à faire un récit en vérité, loin de toute idéalisation. «Ce ne sont pas des superhéros», explique Damien Boyer. En les filmant, «j’ai découvert les défis auxquels ils sont confrontés».

Arrivés en octobre 2018 à Madagascar, le père Gabriel de Lépinau «essaie encore d’apprendre le malgache» et, sans masque, témoigne dans le film de sa frustration de ne pas toujours comprendre ni de parvenir à se faire comprendre. Tour à tour, les plus jeunes évoquent leurs fragilités, leurs blocages ou leurs difficultés affectives, comme le père Laurent Bissara à Calcutta, ordonné à 46 ans renonçant à une carrière prometteuse et à de nombreuses conquêtes. «Le fait de quitter son travail, sa famille, ses amis, est brutal», relate le réalisateur, d’autant que ces missionnaires sont envoyés ad vitam dans leur pays de mission. «La plus grande de mes solitudes a été face au deuil. N'avoir personne qui comprenne ce que je vivais parce que personne ne connaissait ce que je perdais», confie le père Will Conquer.

Le père Gabriel de Lépinau dans le diocèse de Port-Berger à Madagascar.
Le père Gabriel de Lépinau dans le diocèse de Port-Berger à Madagascar.

Dans ce documentaire à la photographie superbe, on voit «ces baroudeurs du Christ» marchant seuls aux milieux des gratte-ciel de Séoul, dans une brousse à perte de vue dans le diocèse de Port-Bergé ou remontant des canaux d’eaux sombres sur une pirogue. «En réalité, nous ne sommes pas seuls, il y a énormément de monde autour de nous, et pourtant la solitude est réelle. Mais ce n’est pas mauvais en soi. Nous pouvons habiter cette solitude. C’est là qu’on rencontre une présence qui nous est donnée par la foi. Dieu est là et cela change tout», explique le père Gabriel de Lépinau. Il y a des risques en mission mais il faut pouvoir se dire: «Seigneur, parce que j'étais seul avec toi, je suis prêt et je pourrais être avec toi face au monde», commente le père Will Conquer. On le voit à l’écoute des victimes de la tragédie Khmer, engagé dans une danse traditionnelle ou visitant des bouddhistes, tandis qu’à Port-Bergé, le père Gabriel va de villages en villages, passe la tête, ou se lance avec des jeunes dans un ambitieux projet de mosaïques (aujourd’hui abouti!)

Devenir père

Âgés de 36 et 40 ans, les plus jeunes qui ont tout récemment vu le film, l’ont reçu comme un cadeau. «Ce qui m'a impressionné et m'a encouragé, c’est de voir le lien très fort que les prêtres missionnaires qui ont plus d’expérience ont développé avec les chrétiens ou le peuple qui est sur place, comme le lien d'un père bon, c'est à dire qu'il veut voir ses enfants grandir dans le bien et dans la vérité, dans la justice. Cela m’a donné beaucoup de joie», confie le père Gabriel.

Le père Laurent Bissara consacre sa vie aux enfants et familles vulnérables de Howrah, près de Calcutta.
Le père Laurent Bissara consacre sa vie aux enfants et familles vulnérables de Howrah, près de Calcutta.

Près de Calcutta, le père Bissara est lui bouleversé par la joie retrouvée des enfants handicapés de Howrah, qui vont jusqu’à rêver à leur avenir avec lui. A Séoul, on devine l’immense fierté du père Philippe Blot, pourtant manifestement réservé et pudique, quand l'un des «ses» enfants devient champion de Taekwendo, s’envolant dans les airs. Il est l’un des jeunes nord-coréens dont s’occupe le missionnaire qui gère plusieurs centres d’accueil réservé aux réfugiés du nord. «On m’a parlé d’un étranger et c’était toi», lui confie une jeune femme en fuite. Il y a enfin Taïwan, où tous connaissent le père Yves Moal qui, à 84 ans, continue avec énergie, douceur, et humour «à travailler le cœur et la dignité tous les jours» d’hommes rejetés par tous, notamment d’anciens criminels dont il partage la douleur. «Ils s'accrochent à moi et moi je m'accroche à Dieu», explique-t-il simplement.

Le père Philippe Blot et plusieurs jeunes nord-coréens dans un des foyers d'accueil de Séoul.
Le père Philippe Blot et plusieurs jeunes nord-coréens dans un des foyers d'accueil de Séoul.

Tous appelés à être missionnaires

«Les appels sont tous différents, mais mystiquement dans le corps de l'Église, c'est toujours l'appel d'être sanctifiés et de devenir des saints auxquels on doit répondre», explique le père Will Conquer. «C’est une aventure qui a un but, et ce but est le ciel, le salut des âmes». Avec ce film, «j’ai voulu interpeller chacun», dit son réalisateur. «Et nous, avons-nous trouvé notre radicalité, ce pour quoi on existe? Qu'est-on prêt à perdre pour donner?». Lui-même saisi, il a élargi sa famille à des enfants qui n’étaient pas les siens. «On peut faire tant avec peu de choses», note Damien Boyer, qui espère réveiller un élan de vie et de mission. «Si ces prêtres, au fin fond de la cambrousse cambodgienne, arrivent à transformer autant de vies, à participer avec beaucoup d'humilité à autant de révolutions. Imaginez que l'on s'y mette tous. Le monde changera réellement. Ce n'est pas une utopie. C'est réel».

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06 novembre 2025, 12:39