La présence chrétienne a chuté de 80% en seulement 14 ans en Syrie
Marie Duhamel – Cité du Vatican
«On existe, on ne veut pas mourir et être oubliés», lance un jeune étudiant en médecine de Damas. Ce jeune chrétien, Elias, sera un des rares Syriens à rencontrer le Pape lors de son voyage apostolique au Liban. Ce jeudi 27 novembre, il témoignait depuis la capitale syrienne de son rêve de voir Léon XIV appeler à prier pour sa communauté, mis à mal par la guerre et vivant aujourd’hui dans l’incertitude. «Nous ne sommes plus à la maison dans notre pays. On ne comprend pas pourquoi on ne nous accepte pas, d’autant que nous les chrétiens nous aimons tout le monde. Notre cœur est grand», soulignait un ami de sa paroisse, Firas, lui aussi présent à la visioconférence organisée par l’Œuvre d’Orient, en présence d’une trentaine de journalistes.
D’ordinaire mobilisée sur le terrain, l’organisation a tenu à prendre la parole ce jeudi pour se faire l’écho des sentiments actuels et de la réalité des membres des Églises chrétiennes de Syrie, nombreuses comme en témoigne la présence de 9 diocèses dans la seule ville d’Alep. Présentes depuis 2000 ans dans ce berceau du christianisme, les chrétiens restent une force vive du pays. C’est un des points sur lequel insiste le rapport publié ce jeudi 27 novembre, à l’occasion du voyage du Pape aux racines de l’Orient chrétien, en Turquie et au Liban.
Un apport précieux à la société
Dans l’humanitaire, le social, pour accompagner les personnes handicapées ou œuvrer pour la réconciliation, les chrétiens sont mobilisés dans un faisceau d’associations. Nombre d’entre elles sont d’ailleurs nées pendant la guerre, a noté Vincent Gélot, chargé de mission pour l'Œuvre d'Orient en Syrie et au Liban, lors de la visioconférence. Les statistiques manquent dans un pays qui sort de 14 ans de guerre, mais forte des données que leur ont fait directement parvenir les communautés locales, l’organisation a établi que 2 millions de personnes bénéficiaient de ce réseau associatif chrétien.
L’Œuvre d’Orient, qui a travaillé en partenariat avec Hope Center Syrie, souligne par ailleurs que 117 000 Syriens de toutes confessions sont soignés chaque année dans un des quatre hôpitaux chrétiens de Damas et Alep, «parmi les meilleurs du pays en termes de qualité de soins mais aussi de capacités d’accueil», a souligné Vincent Gélot.
Les Églises sont également très engagées dans le domaine de l’éducation, puisqu’elles gèrent 57 établissements, où sont scolarisés 30 000 élèves à travers le pays. L’école est «un enjeu majeur». Des enfants de différentes confessions y sont inscrits, favorisant l’apprentissage de valeurs de paix et de tolérance outre celui de matières traditionnelles.
Réappropriation d’établissements scolaires
Actuellement des tractations ont lieu, afin de récupérer 30 des 67 écoles confisquées jadis par le parti Baas. «Plusieurs ont été nationalisées, aussi, il n’est pas aisé de les refaire passer sous gestion diocésaine, mais d’autres ont été abandonnées. Il faudrait pouvoir obtenir une nouvelle licence d’enseignement pour ces établissements», affirme le chargé de mission pour l'Œuvre d'Orient en Syrie. Dans des zones détruites par la guerre, à Deir Ezzor ou Soueïda, récupérer une école serait un élément très important pour «redonner un élan missionnaire», permettre de «renouer un lien entre la toute petite minorité chrétienne sur place et le reste de la population».
À Deir Ezzor, détruite à 75%, les chrétiens ne sont plus que 4, contre 7000 avant la guerre de 2011. Le conflit a fait plus de 520 000 morts, 7 millions de réfugiés, 6 millions de déplacés. Des dizaines de milliers de personnes restent portées disparues. La violence a touché tous les Syriens, mais il semble que la communauté chrétienne ait été la plus amoindrie. Des quartiers chrétiens ont été frappés de plein fouet, comme celui de Midan à Alep, situés sur la ligne de front. Avec d’autres minorités, ils ont subi les exactions des terroristes islamistes. Vincent Gélot évoque leur sort à Raqqa où Daesh imposait une taxe aux chrétiens, mais procédait également à des arrestations arbitraires, à des actes de torture, etc. Il parle aussi, par exemple, de l’enlèvement de 230 civils, dont une soixantaine de chrétiens syriaques, 45 femmes et 19 enfants à Al-Qaryataïn en 2015.
Le patrimoine chrétien a, lui aussi, subi de lourdes pertes. Pendant la guerre, des lieux de culte ont été touchés, mais aussi délibérément visés, comme le monastère de Mar Elias ou le monastère arménien de Deir Ezzor.
Un déclin économique et démographique brutal
Aujourd’hui, la communauté chrétienne paie encore le prix de la guerre. «Elle a perdu des biens, des terres et connu un déclassement social. Aujourd'hui, 90 % de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté, et les chrétiens font partie de cette population pauvre. C'est également une communauté qui a connu un déclin massif. 80 % de la communauté chrétienne, qui est là depuis 2000 ans, a disparu, en seulement quatorze ans. C'est brutal», rapporte Vincent Gélot. À Alep, ne resterait plus qu’un sixième des chrétiens présents avant la guerre. Entre 300 et 400 000 chrétiens syriens seraient encore dans le pays. Mais «parmi les 20 % de chrétiens qui restent, on est face à une communauté qui est plutôt âgée. Plus de 50 % des membres de cette communauté ont plus de 50 ans. Donc, on est face à une pyramide des âges inversée, avec une descente en flèche du nombre de jeunes en proportion des personnes âgées», explique le responsable de mission de l’Œuvre d’Orient pour la Syrie. Le rapport souligne aussi que l’exode des chrétiens a été aggravé par les conséquences du tremblement de terre en 2023, par les sanctions internationales pesant sur le régime d’Assad, et par le service militaire qui a touché tous les jeunes Syriens jusqu'à la chute du régime.
Après la chute du régime…
Finalisé en septembre dernier, le rapport porte également sur les premiers mois de pouvoir des nouvelles autorités syriennes. Un nouveau souffle économique a été donné au pays, avec la levée des sanctions internationales. Mais des fractures anciennes sont réémergées, liées à 54 ans de dictature de la famille Assad et à toutes ces années de guerre. Des violences communautaires ont eu lieu en mars sur la côte contre les alaouites, en juin contre les chrétiens lors de l’attentat contre l’église mar Elias. «Jamais pendant la guerre, une église n’avait été visée par un attentat en pleine messe», et pour souligner la rareté de ce type de violence, Vincent Gélot a évoqué les attaques contre les églises coptes-orthodoxes et leurs fidèles égyptiens en 2016/2017 ou, en Irak, l’attaque de 2010 contre l’église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours à Bagdad. Plus récemment, la communauté druze a été visée, des populations déplacées. De Homs à Lattaquié en passant par Hama, des problèmes sécuritaires ont été relevés, des femmes alaouites ont été enlevées par des groupes isolés, mais «qu’ont laissé faire les nouvelles autorités».
Un dialogue existe aujourd’hui entre les Églises et le président de transition à Damas. Des rencontres ont eu lieu avec le président Al Charreh. Patriarches ou évêques ont fait part de «ce qui va et ce qui ne va pas».
Islamisation de la société
L’Œuvre d’Orient se fait ainsi écho de l’inquiétude des chrétiens concernant une islamisation de la société. Un décret ministériel, s’appliquant à la scolarité de l’année en cours, propose une relecture de l’histoire de la Syrie, «on a enlevé le nom de dieux qui datent de la période pré-islamique», rapporte son chef de mission dans le pays. «On lit dans les livres de religion que les juifs et les chrétiens sont des ‘égarés’, ces paroles inquiètent», poursuit Vincent Gélot.
Les autorités locales et la communauté internationale sont ainsi interpelées par l’organisation soutenant les chrétiens d’Orient, pour faire «plus et mieux», car «le bien-être des communautés et du pluralisme religieux sont des conditions de la paix et un curseur des libertés». S’en soucier précocement pourrait prévenir d’ultérieur violence et garantir la coexistence espérée. Des recommandations sont ainsi formulées.
Recommandations concrètes
L’Œuvre d’Orient souhaite ainsi l’instauration rapide de mécanismes de justice «adaptée pour tous les Syriens» et de réconciliation, pour punir les crimes commis et prévenir tout instinct de vengeance individuelle ou collective.
Une plateforme nationale de dialogue intercommunautaires, incluant toutes les ethnies et religion pourrait voir le jour, s’inspirant du travail effectué depuis des décennies au monastère de mar Moussa. Un fond de contribution volontaire dédié aux minorités pourrait voir le jour aux Nations-unies, déjà soucieuses des populations autochtones.
Enfin l’Œuvre d’Orient appelle à la création d’un fonds de soutien à la diversité ethnique et religieuse en Syrie, pour soutenir l’important travail de mission de service public fourni par les communautés chrétiennes, actuellement quasi totalement financé par des organisations d’Église (AED, Misereor, etc.). Ce projet pourrait être présenté à l’Union européenne. Cela favoriserait la cohésion sociale, la reconstruction et le retour des déplacés, qui représente aujourd’hui un tiers de la population syrienne.
«Ces propositions concrètes visent à donner un signal positif à nos partenaires qui se sentent aujourd’hui abandonnés», affirme Vincent Gélot. «Nous n’avons pas de contrôle sur le pouvoir sécuritaire dans le pays», mais des choses peuvent être accomplies. «Il en va de l’existence même de ces communautés», conclue-t-il.
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