L’attention du Pape à ceux qui souffrent, est d’une «extraordinaire importance»
Francesca Sabatinelli – Cité du Vatican
Ce jeudi matin, 18 septembre, le Pape a reçu un homme ayant, comme lui, à cœur le droit des personnes à vivre dans la dignité et dénonçant, comme lui, la violence de la guerre et son impact dévastateur sur les civils. À quelques mois de la fin de son mandat, le 31 décembre prochain, Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés a discuté avec le Saint-Père des principales crises mondiales, de Gaza à la Birmanie; des conflits qui mettent en évidence, comme l'indique Filippo Grandi aux médias du Vatican, l'état dramatique du droit international humanitaire, désormais «sous perfusion» la voix du Pape Léon XIV et l'intérêt du Saint-Siège pour les crises oubliées ou négligées, précise le Haut-Commissaire, «sont d'une importance extraordinaire».
Filippo Grandi, comment s'est déroulée votre rencontre avec le Pape?
Cette première rencontre avec le Saint-Père a été très positive pour moi et pour l'organisation du HCR, et ce fut même très clair concernant la question des réfugiés, des migrants et des mouvements de population. Le Pape reste, comme son prédécesseur, très engagé sur ce sujet et nous avons discuté de l'importance de cet engagement. Nous avons également discuté, bien sûr, des crises qui secouent le monde, qui le préoccupent et qui nous préoccupent. De la Palestine à l'Ukraine, en passant par les nombreuses crises africaines ou la Birmanie d’où je rentre, etc. Il fut également question des problématiques liées à la crise migratoire en Amérique latine, un continent que le Saint-Père connaît parfaitement. Ce fut donc une rencontre très fructueuse avec le chef de l'Église catholique, que j'ai trouvé intéressé, informé et engagé.
Dans son livre publié aujourd'hui au Pérou, «León XIV: ciudadano del mundo, misionero del siglo XXI», parmi les nombreux sujets abordés, le Pape exprime sa grande préoccupation quant à l'attitude des États-Unis à l'égard des migrations et rapporte en avoir fait part au vice-président américain.
Nous avons discuté de l'impact des politiques de cette administration sur cette question et sur les organisations comme la nôtre qui s'en occupent. À la demande du Pape, je lui ai fait part de l'impact, par exemple, de la réduction très importante de l'aide humanitaire du gouvernement américain, qui affecte non seulement le HCR, mais aussi d'autres organisations humanitaires, l'ensemble du système d'aide. Une réduction qui - je l'ai précisé au Pape et l’ai souvent dit publiquement, n'est pas le seul fait des États-Unis, mais aussi de nombreux pays européens comme l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni. Ce n’est pas le cas de l'Italie, mais d'autres pays européens ont considérablement réduit leur aide, nous sommes donc confrontés à une crise financière très grave qui ne nous permet plus de faire tout ce que nous faisions auparavant.
Nous avons également partagé l'opinion que cette réduction de l'aide comporte également des contradictions. Par exemple, les gouvernements des pays européens ou des États-Unis affirment que la pression migratoire doit être réduite à leurs frontières, et cela se ressent tous les jours. Cependant, si l'aide diminue également dans les pays où ces personnes sont les plus nombreuses, il est clair qu'il y aura moins d'incitations à rester et plus de mouvements de population. Je n'ai jamais été un grand partisan de ce raisonnement: moins d'aide, plus de mouvements, mais nous le constatons aujourd'hui.
J'ai donné au Pape l'exemple du Tchad, où jusqu'à l'année dernière, l'aide américaine représentait plus de 50 % de l'aide internationale. Aujourd'hui, elle n'a pas été supprimée, mais elle a été considérablement réduite, y compris par les Européens. Il est clair que des centaines de milliers de personnes continuent d'arriver chaque semaine du Soudan, en particulier de la région du Darfour, dans des conditions physiques et morales terribles. Auparavant, nous pouvions leur fournir un minimum d'aide au Tchad. Le Tchad les laisse entrer, c'est un pays très pauvre, mais il les laisse entrer, tout en nous demandant de les aider à subvenir aux besoins de ces personnes. Nous pouvons le faire, mais à une échelle très réduite. Que se passe-t-il alors? Les trafiquants d'êtres humains, les prédateurs de ces personnes, qui sont très habiles dans leurs affaires, sont déjà tous dans cette région et convainquent les personnes qui arrivent de se rendre en Libye, et nous savons que la Libye est le pont vers l'Europe. Ainsi, cette réduction de l'aide, outre ses aspects moraux et humanitaires très graves, est également très contre-productive du point de vue des intérêts des États qui sont toujours préoccupés, voire obsédés, par l'arrivée de ces personnes.
Vous avez mentionné que parmi les thèmes abordés avec le Saint-Père figurait également la situation en Palestine. À Gaza, nous voyons chaque jour ce qui se passe, mais le HCR n'est pas présent.
Il faut apporter une petite précision. Le HCR n'est pas présent non pas parce qu'il ne le souhaite pas, mais parce que, pour des questions de mandat et de responsabilité des différentes organisations, il n'a pas de mandat spécifique sur les réfugiés palestiniens. Cela relève de l'UNRWA, une organisation soumise à une forte pression, que j'ai moi-même dirigée pendant plusieurs années et que je connais bien. C'est donc pour cette raison que nous ne sommes pas présents.
Il est difficile de trouver les mots pour décrire la situation, mais disons que nous partageons la consternation et l'horreur. Ce sont les deux mots qui conviennent le mieux: consternation et horreur face à ce qui se passe à Gaza, face au massacre, face à la pression exercée sur les civils pour les expulser de leurs maisons et de leurs villes, dans une petite zone, la bande de Gaza, dont ils ne peuvent sortir. Il s'agit donc d'un drame à plusieurs niveaux qui se déroule, sans parler des morts, des enfants, de ceux qui perdent la vie en essayant d'obtenir de l'aide, à qui l'entrée est interdite. En somme, c'est une très longue liste d'horreurs, de violations graves du droit international et de préparation d'une situation qui, pendant des décennies, pendant des générations, aura un impact catastrophique sur les Palestiniens, mais qui poursuivra également Israël et l'humanité tout entière en termes de responsabilité à laquelle nous n'avons pas su faire face.
Donc, et je le dis maintenant avec mes propres mots, le Pape a partagé sa profonde douleur face à ce qui se passe, d'ailleurs il en a parlé presque tous les jours ces derniers temps, de manière très claire. Malheureusement, tous ces appels qui ont été lancés pour un cessez-le-feu, pour la libération des otages, pour tout ce que nous savons devoir être fait, semblent tomber dans le vide, et pendant ce temps, la tragédie se consume, elle est presque consommée.
Et puis il y a aussi la question de la Cisjordanie, car le feu vert désormais complet à la colonisation est très clair, ce qui constitue une autre violation flagrante du droit international, car on ne peut occuper un territoire sans avoir un accord de paix prévoyant certaines mesures. Il est donc clair que tout cela continue. J'ai passé plusieurs années de ma vie en Palestine, dans le passé. À l'époque, le dialogue, la négociation, la défense des droits des Palestiniens, la critique de l'occupation nous semblaient difficiles, mais nous en sommes maintenant à des niveaux beaucoup plus graves et beaucoup plus élevés.
Vous venez de rentrer de Birmanie, l'un des autres pays touchés par une crise grave qui retient toujours l'attention du Pape. Que se passe-t-il là-bas?
Je tiens à le dire, à le dire ouvertement: le Saint-Siège est l'un des rares endroits au monde où, avec mes collègues, nous parlons de crises largement oubliées ou négligées et où il y a un écho, un intérêt, une volonté de s'engager, un engagement. C'est ma dernière visite à Rome, au Vatican, en tant que Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Mais je tiens à dire que cette attention – je l'ai dit au Pape – cette sensibilité, cette voix en faveur de ceux qui souffrent de la part de l'Église catholique, sont d'une importance extraordinaire et nous espérons, et je suis sûr, que dans le sillon du Pape François cela continuera avec le Pape Léon. La Birmanie est l'une de ces crises qui semblent presque sans solution. Une autorité est arrivée au pouvoir par un coup d'État, n'est donc pas reconnue internationalement, gouverne une partie du pays, tandis que le reste est sous le contrôle de divers mouvements ethniques, nationaux, infranationaux, en somme une galaxie complexe de groupes armés qui luttent contre le gouvernement central, qui luttaient déjà auparavant, mais maintenant, avec ces autorités post-putschistes, il y a une recrudescence des combats, avec l'utilisation de moyens aériens, de bombardements aériens par les autorités centrales, donc avec de très nombreuses pertes en vies humaines civiles, mais aussi de nombreux abus de la part des groupes armés. Le HCR s'occupe des personnes déplacées, des questions humanitaires, nous avons également un dossier très particulier en Birmanie, celui de la minorité musulmane des Rohingyas, qui ont en partie fui vers le Bangladesh, où ils vivent dans des conditions très difficiles dans des camps d'accueil, mais dont une partie est restée en Birmanie. Et c'est l'une des minorités les plus marginalisées et les plus malheureuses, je ne sais pas quel autre terme utiliser, du monde contemporain, car elle a souffert de discrimination sous tous les gouvernements précédents en Birmanie et maintenant, la zone dans laquelle elle vit est occupée par l'un de ces groupes armés qui abuse lui-même de cette minorité. Il ne semble donc pas que le changement de situation politique dans leur région change leur destin d'être une minorité persécutée, marginalisée et même non reconnue. Les Rohingyas sont un groupe de personnes qui combinent à la fois les caractéristiques d'être réfugiés et apatrides, car ils n'ont pas de nationalité, celle-ci ne leur étant pas reconnue. J'ai donc parlé à ces autorités de facto en tant qu'organisation humanitaire, nous parlons à tout le monde, à ceux qui contrôlent ces territoires.
La semaine précédente, j'étais à Goma pour discuter avec le groupe M23. Il est donc important pour nous de parler à tout le monde, en essayant de rétablir le dialogue, surtout pour faire passer le message immédiat de cesser les attaques contre les civils.
Mais pour revenir à la Birmanie, je ne suis pas très optimiste, malheureusement les influences internationales y sont complexes. Ce n'est pas un pays où il est facile de faire pression sur les intérêts internationaux. C'est un pays très isolé, très autarcique, en quelque sorte, donc difficile.
Le monde est désormais une constellation de crises. Pourquoi y a-t-il aujourd'hui autant de réfugiés dans le monde, plus de 120 millions ? Parce que les conflits sont devenus sans limites en termes d'impact sur les civils, dans le sens où même les fragiles barrières que le droit international parvenait à créer, sans toutefois les imposer, sont en train de perdre de leur pertinence et de leur impact. Et lorsque des situations comme celles de l'Ukraine ou de Gaza se produisent, avec des États puissants comme la Russie et Israël qui commettent ces violations en toute impunité, cela crée un contexte d'impunité mondiale dans lequel des groupes beaucoup moins importants et moins puissants peuvent, à leur échelle, causer des dommages indescriptibles aux populations civiles. C'est pourquoi les gens fuient. Ils ont toujours fui la guerre, mais ils fuient davantage et plus rapidement, avec plus de terreur aujourd'hui que la guerre est menée de cette manière, en ignorant complètement les droits des civils, et c'est très grave. Les violations des droits ne sont pas seulement graves en soi, mais elles le sont aussi en raison du précédent qu'elles créent à l'échelle mondiale, surtout aujourd'hui.
Pour conclure, il me faut donc vous demander comment qualifiez-vous l'état de santé du droit international humanitaire?
Le droit international humanitaire est sous perfusion. Certains d'entre nous tentent de le maintenir, mais il risque d'être interrompu. C'est catastrophique. J'espère que le public européen, du moins dans une partie de l'Europe, où nous vivons encore dans une paix, une prospérité et une tranquillité relatives, se rendra compte que la fin, le déclin, du droit international humanitaire est aujourd'hui un risque majeur, non seulement pour les populations de Gaza, de Birmanie ou du Congo, mais pour nous tous, car une fois ces barrières supprimées, il n'y a plus de limite à la violence qui peut également nous toucher.
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