Femmes et diplomatie: le combat de Giulia Clara Kessous récompensé

À Palerme vient de se conclure l’édition italienne du Woman Economic Forum, centré cette année sur la Méditerranée. L’artiste pour la paix de l’Unesco Giulia Clara Kessous y a été récompensée pour son activisme visant à impliquer davantage les femmes dans les négociations de paix. Entretien.

Marie Duhamel - Cité du Vatican

Lors du Forum économique des femmes cette semaine en Sicile, des femmes d’influence du monde politique ou de l’entreprenariat ont échangé dans le palais Zitto de Palerme sur des questions d’actualité chaude telles que l’adaptation des villes au changement climatique, l’élaboration d’un système alimentaire résilient ou l’accès aux soins à garantir sans frontières. Plusieurs personnalités de premier plan ont été invitées à prendre part au forum, comme la Nobel de la paix tunisienne de 2015 Ouided Bouchamaoui, l’actuelle ministre syrienne des Affaires sociales et du Travail Hind Aboud Kabawat ou la scientifique iranienne Fahimeh Robiolle. Une autre femme encore fut récompensée. Ce jeudi 30 octobre, l’artiste de l’Unesco pour la paix Giulia Clara Kessous a reçu le prix intitulé «Femme de la décennie», pour son travail visant à intégrer les femmes dans les processus de paix. Elle a par exemple proposé une résolution exigeant des quotas de femmes dans toutes les négociations internationales de paix, le 10 septembre dernier lors des Peace Talks organisés pour célébrer la Journée internationale de la paix au siège des Nations unies de Genève.

Vous vous mobilisez pour que les femmes osent prendre la parole mais aussi pour qu’on la leur donne. Le 10 septembre dernier, lors d’une journée d’échange sur la paix au siège des Nations unies à Genève, vous avez proposé une résolution instaurant des quotas roses dans les négociations de paix. Pouvez-vous revenir sur le sens de cette démarche?

Dans ma vie, je suis à la fois coach, c'est à dire que j’encadre des femmes et des hommes pour prendre la parole en public et, dans le même temps, je m'investis de manière philanthropique dans mon travail humanitaire.

J'ai remarqué que lorsque j'aide des femmes à prendre la parole en public, le résultat obtenu n’est pas du tout le même que lorsqu'on travaille avec des hommes. Lorsque des femmes sont en mesure de s'exprimer dans le cadre de négociations commerciales ou diplomatiques, un changement s’opère, du tout au tout, vis à vis de l'alliance ou du traité qui sera contracté. Des études montrent que lorsqu'on propose aux femmes de prendre part aux négociations diplomatiques, les accords sont plus durables de 35 %. Mais les chiffres d’aujourd’hui sont désastreux. Depuis 1995, moins de 6 % de femmes ont été signataires de traités de paix.

Forte de ces données, j’ai proposé cette résolution au dernier Peace Talk de Genève, pour demander aux représentants des nations présents d’appuyer mon projet et de le proposer officiellement à la 61ᵉ session du Conseil des droits de l'homme, en mars prochain. Cette résolution permettrait à des femmes de s’assoir systématiquement aux tables de négociations diplomatiques.

Aujourd'hui on parle d'égalité, de plus de représentativité dans les gouvernements. Or, dans certains pays, on voit que les femmes qui sont nommées sont des plantes vertes. Ce sont des femmes à qui l'on dit de dire ce qu'elles ont à dire. Elles n'ont pas la capacité de pouvoir changer le cours de traités ou des décrets votés sans elles. Et on le voit dans la diplomatie, comme dans les grandes entreprises. Dans les conseils de direction par exemple, les femmes qui en font partie, quelquefois ne comprennent pas que lorsqu'elles arrivent, les choses sont déjà jouées.

Giulia Clara Kessous reçoit son prix des mains de la fille du président italien, Laura Mattarella ©Paolo Castronovo
Giulia Clara Kessous reçoit son prix des mains de la fille du président italien, Laura Mattarella ©Paolo Castronovo   (© Paolo Castronovo)

Pourtant, beaucoup de femmes travaillent dans l'ombre pour faire en sorte que la situation puisse avancer, mais elles sont dans les coulisses. Aujourd'hui, je dis qu'il est important de lever le rideau et de faire en sorte qu'il y ait systématiquement 30 % de femmes représentées aux tables de négociations diplomatiques. Il faut sortir de la représentativité de diplomatie féministe permettant au gouvernement d’avoir bonne conscience en disant «Mais nous travaillons à égalité, regardez, elle est là». Cela ne suffit pas.

Vous dites que les accords conclus en présence et grâce à des femmes seraient plus durables. Quel peut être l’apport spécifique de la femme? Et est-ce qu’il n’est pas problématique d’avoir une approche genrée de la diplomatie?

Il me semble très problématique qu'un genre s'accapare déjà le destin de l'humanité. Alors, il serait peut-être simpliste de dire qu'il y a une diplomatie au féminin et une diplomatie au masculin. Cependant, je vois d'expérience que les femmes vont toujours chercher, quoi qu'il arrive, à maintenir la relation dans la négociation.

Quand on humilie un pays, il va de soi qu’il y aura du ressentiment, une volonté de revanche et des volontés de vengeance. Donc, on biaise l'échiquier avec un ressentiment qui est négatif. Dans ce contexte, une femme ne va pas travailler à jouer au compromis pour se donner bonne conscience en termes de justice, elle va travailler en sachant que des vies humaines sont en jeu. Ce qui ne semble pas être la préoccupation principale de nos politiques aujourd'hui. Une femme qui sait que son mari, son compagnon, son frère ou son fils risquent d'être de la chair à canon, va penser à deux fois avant de déclencher la guerre.

Quand je demande au ministère des Affaires étrangères pourquoi il n'y a pas plus de femmes présentes dans les négociations diplomatiques, on me dit: «parce que les femmes négocient. Or le but dans une négociation diplomatique, ce n'est pas de négocier, c'est de gagner».

Lancé de colombe lors du Women Economic Forum
Lancé de colombe lors du Women Economic Forum   (giulia clara kessous)

Pour éviter la plante verte, faut-il former les femmes à la négociation telle qu'elle est envisagée par les hommes?

On a déjà des femmes médiatrices mais il faut former les femmes à la diplomatie, afin qu’on ait au plus vite des négociatrices averties, et qui seront prêtes au cas où ma résolution serait effectivement proposée en mars. Il ne faut pas alors que des hommes nous disent: «Nous voulons bien intégrer des femmes mais où sont elles?».

Il faut donner la capacité aux femmes de tenir tête, ce qui est -je le reconnais- très compliqué.

Dans le monde de l’entreprise, on les coupe systématiquement, et elles ont du mal ensuite à reprendre la parole. Ou alors, la femme murmure une idée qui sera aussitôt reprise par un homme que l'on va féliciter et applaudir, etc. Il y a un très grand travail à mener sur la confiance en soi et sur l’acceptation du pouvoir à faire afin que les femmes arrêtent d’avoir le syndrome de l'imposteur, en se sentant illégitimes. Il faut permettre aux femmes de s’imposer et elles y arriveront aux moyens de techniques de communication ou de négociation. C’est tout à fait faisable

En 2023, vous avez créé une version féminine des Accords d'Abraham, conclus en 2020 entre l’État d’Israël et les Émirats, puis le Bahreïn ou le Maroc. Des femmes de ces pays se sont engagées au sein des Accords de Sara et Hajar. Pourquoi cette démarche, quels en ont été les fruits?

J’ai enlevé ma casquette UNESCO -le sujet étant trop politique- pour toquer aux portes du Bahreïn, des Émirats arabes unis, du Maroc et d'Israël. J’y ai sollicité des femmes diplomates ou des élues afin de créer une sorte de centre de réflexion sur la question de la femme au Moyen-Orient -un univers très masculin- et sur des questions qui n’ont rien de féministes, liées à la faim ou aux conflits. Le 7 Octobre nous a un peu freinées, il nous fallait être plus discrètes, mais ce fut absolument formidable. Nous avons notamment organisé des sessions de formation à Chypre qui seront renouvelées, pour apprendre l’art de la négociation.

Avez des retours d'hommes sur ces initiatives?

La réaction de ministres des Affaires étrangères de certains pays, en particulier du Moyen-Orient, vis à vis de moi fut intéressante. J’ai entendu certains dire en arabe «mais qu’est-ce qu’elle veut celle-là?». J’ai entendu des réponses du type «Ce n'est rien, c'est une petite initiative d'une femme au foyer. Elle a un peu d'argent, elle veut faire la paix dans le monde, On va lui signer son truc. Si ça marche, on dira que c'est nous. Si ça ne marche pas, c'est une initiative civile. On ne prend pas beaucoup de risques».

Bon, en dehors du fait que l’argent est vertueux, c’est-à-dire sans contrepartie d’ordre politique, je trouve que même le rêve d’une femme, même si c'est quelque chose qui est infime, cela permet de créer une brèche pour commencer petit à petit à faire changer les consciences. Mon travail consiste à montrer aux femmes qu’il est possible de faire changer les mentalités. Il est de notre devoir que cela change. On ne peut pas continuer aujourd'hui, en 2025, d'avoir sur les bras des corps d'enfants morts sous des prétextes de suprématie nationale. On serait la honte des générations à venir.

Lors de la remise du prix, Giulia Clara Kessous portait la robe pour la paix du créateur italien Valentino Garavani, conçue en 1991 lors de la guerre du Golfe. Sur la robe, figure le mot paix brodé en quatorze langues différentes. Le couturier fut récompensé pour ce travail en 2018 à Bruxelles. @gregalexanderofficial
Lors de la remise du prix, Giulia Clara Kessous portait la robe pour la paix du créateur italien Valentino Garavani, conçue en 1991 lors de la guerre du Golfe. Sur la robe, figure le mot paix brodé en quatorze langues différentes. Le couturier fut récompensé pour ce travail en 2018 à Bruxelles. @gregalexanderofficial   (giulia clara kessous)

 

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31 octobre 2025, 22:14