La France rend hommage aux 130 victimes, dix ans après les attentats du 13 novembre 2015. La France rend hommage aux 130 victimes, dix ans après les attentats du 13 novembre 2015.  (ANSA)

Dix ans après les attentats de Paris, la France entre union et souvenir

Les pires attaques terroristes de l'histoire en France, le 13 novembre 2015 à Paris sont commémorées ce jeudi dans la capitale française. Des cérémonies qui devraient mêler recueillement et douleur, mais aussi la volonté de regarder avec optimisme vers l'avenir. C'est le cas d'Arthur Desnouveaux, président de l'association Life for Paris et rescapé du Bataclan. Entretien

Olivier Bonnel - Cité du Vatican

Il est un peu plus de 21h ce vendredi 13 novembre 2015. Trois kamikazes se font exploser près du stade de France à Saint-Denis, où se joue un match amical de foot France-Allemagne. Un peu plus tard, des hommes armés mitraillent des terrasses de cafés dans des quartiers populaires de Paris, alors qu'un commando prend d’assaut la salle de spectacle du Bataclan où se déroule un concert de hard-rock. Paris et la France basculent dans l’horreur. L’État Islamique revendique les pires attentats terroristes de l'histoire du pays. Alors que les assauts ne sont pas encore finis, le président François Hollande déclare l'état d'urgence et ordonne la fermeture des frontières.

L’onde de choc de ces attaques est mondiale, de partout des messages de solidarités afflueront. Depuis Rome, le Pape François, dans un télégramme au cardinal Vingt-trois, archevêque de Paris s’associe «à la douleur du peuple français» et confie les victimes à ses prières. 

Ce jeudi 13 novembre 2025, des commémorations auront lieu dans la capitale française en hommage aux 132 victimes, aux survivants et à leurs familles. Dans la soirée, une "nuit de l’espérance" aura lieu en l’église Saint-Ambroise dans le 11e arrondissement de la capitale, située à un jet de pierre du Bataclan. Ce jeudi est aussi la date symbolique choisie par l’association Life for Paris pour officialiser sa dissolution, une décision «pour ne pas s’enfermer» dans le statut de victime. Dix ans après ces attentats, les victimes ont dû panser leurs plaies, penser aussi à «la vie d’après», avec beaucoup de solidarité malgré les moments sombres. Arthur Desnouveaux, rescapé du bataclan, est le président de Life for Paris.. il vient de publier Vivre après le Bataclan paru aux éditions du Cerf et relit ces 10 années, entre douleur et reconstruction.

Arthur Desnouveaux, rescapé du Bataclan

Je crois que ce que je retiens de ces dix années, ce sont ces amitiés, cette nécessité, mais qui est aussi une capacité à faire face ensemble, même au plus dur. Mais il n'y a pas que ça, il y a aussi les institutions qui nous ont aidé, que ce soit la médecine, que ce soit la justice, que ce soit l'organisme chargé de nous indemniser. C'est aussi ça qui a permis à nos amitiés de rester très pures. C'est à dire que, sur tout ce qui était de l'ordre de la vengeance, on a laissé ça à la justice. Et donc ce qui restait à la fin, c'était que l'entraide. Ça c'est assez important, c'est l'équilibre entre les deux qui permet quelque chose. 

Vous dites dans votre livre que la France, les pouvoirs politiques, peinent finalement à comprendre le terrorisme et son impact réel sur les victimes. Vous écrivez d'ailleurs: "le terrorisme, c'est la tranquillité impossible". On a du mal encore aujourd'hui à comprendre ce qu'a été le 13 novembre 2015? 

Je pense que la tranquillité est impossible. Elle s'applique aux victimes mais aussi à la société dans son ensemble, ça marche pour les deux. Je crois que l'on a compris ce que les victimes avaient vécu, mais je ne sais pas si on a vraiment compris pourquoi elles l'ont vécu. Moi, ce que je vois, c'est qu'on ne comprend pas pourquoi il y a toujours des milliers de jeunes qui veulent devenir djihadistes, et ça, ça m'a toujours frappé. Au mieux, on a des explications qui d'ailleurs ne sont pas suffisantes sur comment est ce qu'on les fait basculer, quel est le processus de radicalisation... On comprend à peu près, mais qu'est ce qui fait qu'ils puissent être sensibles à ce discours là? Ça, c'est quelque chose que, en tout cas, je n'ai jamais lu ni compris nulle part. Et cela reste forcément une question pour les victimes, parce que l'on est en miroir de ces gens-là, on a vécu le même événement à cause d'eux. Et donc comprendre pourquoi est-ce qu'un jour ils ont voulu prendre les armes contre nous, ça reste important et ça n'existe pas dans le débat public.

Dans votre ouvrage vous citez "une déformation du respect dû aux victimes et une peur de l'image violente et de ses effets". Qu'avez-vous voulu dire en écrivant ça?

On pourrait se dire qu'on est une société qui vit sans montrer la violence, mais ce n'est pas vrai quand elle ne s'adresse pas à des citoyens français sur le sol français, on la montre, on peut montrer des exactions, on peut montrer un jeune migrant mort, mais on ne montrera jamais une victime de terrorisme morte. Et cela biaise quand même un peu la compréhension qu'on a du phénomène. La victime de terrorisme, elle est "sacrée", en quelque sorte, sacrée au titre de la République parce que sa souffrance, c'est la souffrance de l'État et de la République. Et en fait, on a un État qui n'est pas assez sûr de lui pour permettre de montrer la moindre blessure.

Le 16 novembre 2013, des milliers de parisiens rendent hommage aux victimes des attentats terroristes
Le 16 novembre 2013, des milliers de parisiens rendent hommage aux victimes des attentats terroristes   (ANSA)

Dans les premières pages, de votre livre, vous parlez des funérailles d'un proche, ancien rescapé du Bataclan, en disant: "une prise de parole à des funérailles consiste, je crois, à tenter d'insuffler de la vie dans cette béance, à proposer une perspective qui rende la vacuité moins intimidante, à commencer à épuiser le malheur".Comment arrive t on à insuffler de la vie comme vous dites?

Je pense qu'il y a plusieurs manières, mais en tout cas, la mort et notre rapport à la mort a tendance à nous rendre un peu, j'allais dire claustrophobe. On s'enferme dans la mort et dans la souffrance, alors que si on a le droit de se tenir debout à des funérailles, c'est bien que l'on a un avenir, aussi différent soit-il, aussi difficile. Je crois donc que ce qui est important, c'est d'apporter une perspective à laquelle tout le monde puisse se rapprocher, se raccrocher. On se retrouve pour dire que la vie va continuer ensemble sans le défunt. Dans l'exemple cité dans mon livre, vu que c'était quelqu'un qui avait ce destin si particulier et si lié au nôtre, c'était encore plus important de se dire que sa mort ne signifiait pas notre mort à nous.  

Au-delà de l'amour de vos proches, vous vous êtes ressourcé et reconstruit à travers un besoin de nature, on reconnecte finalement des choses qu'on ne soupçonnait pas forcément ou qui étaient peut être cachées. Cela aussi, a été un "après attentat" pour vous?

Complètement. Je crois que ça a beaucoup changé mon rapport au temps et à cette course effrénée dans laquelle on vit maintenant. Il y a plein de manières de se reconnecter au temps, le contact avec la nature, avec les saisons. C'est quelque chose qui vous permet de penser le temps long. Aimer la vie, c'est quand même aimer prendre son temps. Cela fait partie des choses que les attentats m'ont apporté. C'est très étrange de dire ça, mais j'avais vécu jusque là une vie qui se déroulait sans accroc: j'étais bon à l'école, j'avais une belle carrière, j'avais trouvé la femme de ma vie etc... Mais au fond, pourquoi? Être dans la nature et accepter de prendre le temps, c'est là que les pensées un peu plus intéressantes vous viennent. Je crois qu'il y a un sentiment de permanence qui m'habite. Il y a ce sentiment aussi que l'on est peu de chose et que donc tenter d'agir, ça ne peut que faire du bien. Je crois que c'est une leçon assez universelle en fait. Dans la grandeur de ce qui nous entoure, on n'est pas là pour se battre sur des petites choses, mais pour essayer de produire du sens.

Vous publiez votre ouvrage aux éditions du Cerf, quelle place votre foi a joué dans  votre construction et en quoi des rencontres peut être "qui élèvent"  ont joué dans ces dix années?

Ecoutez, j'ai beaucoup parlé avec le pasteur qui a animé l'enterrement de mon ami Fred par exemple, et qui m'a expliqué son rapport à la foi, qui n'était pas un rapport à Dieu uniquement, mais qui était un rapport à une promesse, une promesse dans laquelle il voyait beaucoup d'humain d'ailleurs. J'ai compris l'importance, je crois, de trouver une transcendance à laquelle se raccrocher. Et ça, c'est un vrai réconfort de se dire qu'on n'aura pas toutes les réponses, mais qu'il y a sûrement des choses beaucoup plus grandes que nous et un peu inaccessibles. Cela fait en tout cas partie des choses qui vous donnent envie d'essayer d'avancer pour s'en rapprocher quand même. 

“Nous entre victimes, on rit beaucoup et on a appris à savourer la vie et donc à avoir une certaine forme d'optimisme, parce que rien ne sera jamais aussi grave.”

Ce jeudi ont lieu des cérémonies de commémoration de ces attentats terroristes. Qu'est ce que vous en attendez? Qu'est ce que vous appréhendez aussi?

Ce que j'appréhende, c'est une seule chose dont je parle d'ailleurs dans le livre, c'est que ce soit un rendez vous manqué entre nous et les français. Je crois que l'on commémore beaucoup "à vide". On se retrouve entre politiques et victimes, entouré par des cordons de sécurité gigantesques et on fait des minutes de silence. Tout cela, ça ne fait pas beaucoup de sens pour la société. Là, on sent qu'il y a une émotion collective autour des dix ans, et ce serait bien qu'on arrive à tous vivre un moment ensemble et un moment qui ne soit pas juste de la tristesse, mais qui soit aussi une célébration du fait que la France existe toujours, que notre culture n'a pas été atteinte, que Paris est toujours là.

Dans ces dix années écoulées, vous relisez les relations que l'on a chacun avec la violence ou avec les différents événements, y compris l'État, et vous n'êtes pas très tendre d'ailleurs sur ce que deviennent les décisions publiques.. Est ce que ça a changé notre rapport à la police, notre rapport à la justice, nos attentes vis à vis de l'Etat?

Ce que j'essaye de dire dans le livre, c'est qu'il me semble que ça n'avait pas attendu 2015 pour commencer. Mais c'est de pire en pire. Aujourd'hui on ne prend des décisions que sous le coup de la peur: la peur du déclassement économique, la peur des djihadistes, la peur de l'immigration, de ce que vous voulez ... alors qu'il faudrait se demander si l'on a pas renoncé un peu à l'optimisme. Paradoxalement, vous savez, nous entre victimes, on rit beaucoup et on a appris à savourer la vie et donc à avoir une certaine forme d'optimisme parce que rien ne sera jamais aussi grave. Donc oui, je pense qu'on pourrait insuffler ça aux gens, leur dire que tout n'est pas toujours tracé ou pensé, qu'on était dans une situation de tristesse inextricable et que finalement on s'en sort. Ça veut bien dire qu'il y a toujours des chemins là, même là où on s'attend pas.

Le 13 novembre, place de la République à Paris
Le 13 novembre, place de la République à Paris   (AFP or licensors)

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13 novembre 2025, 10:12