Devant les autorités turques, Léon XIV invite à bâtir des ponts entre les peuples

Première étape de son premier voyage apostolique, le Pape Léon XIV est arrivé à Ankara ce jeudi. Après un entretien privé avec le président Erdogan, le Saint-Père a rencontré les autorités, la société civile et le corps diplomatique de Turquie. Dans ce pays transcontinental, véritable pont entre l’Orient et l’Occident, le Pape a appelé à ce que la Turquie soit un «facteur de stabilité et de rapprochement entre les peuples, au service d’une paix juste et durable».

Alexandra Sirgant – Cité du Vatican

Après la visite du mausolée d’Atatürk et la réception au palais présidentiel d'Ankara pour un entretien privé avec le président Recep Tayip Erdogan, Léon XIV a rejoint la Bibliothèque nationale de Turquie (The Nations’s Library), située au sein du complexe présidentiel, afin d’y rencontrer les autorités, les représentants de la société civile et le corps diplomatique, et de prononcer le tout premier discours de son voyage apostolique. Avant cela, le président turque a pris la parole pour saluer l’importance de cette visite papale en ce contexte crucial, marqué par des défis et des problèmes internationaux croissants, allant de l'Asie à l'Amérique. Les tensions, les conflits, les crises économiques et le changement climatique sont autant de raisons, a-t-il précisé, qui poussent à l'émigration depuis ces terres.

S'exprimant en anglais, le Saint-Père a débuté en soulignant la joie éprouvée par le fait de réaliser le premier voyage apostolique de son pontificat dans ce pays dont la «terre est indissociablement liée aux origines du christianisme». Une terre au carrefour des religions et des civilisations qui «appelle aujourd’hui les fils d’Abraham et l’humanité tout entière à une fraternité qui reconnait et apprécie les différences».

Le Souverain pontife a poursuivi en soulignant la «beauté naturelle» du pays, qui «incite à préserver la création de Dieu», à laquelle s’ajoute sa «richesse culturelle, artistique et spirituelle» qui rappelle au monde que «c’est dans la rencontre entre les générations, les traditions et les idées différentes que prennent forme les grandes civilisations, dans lesquelles développement et sagesse s’unissent». Dans un monde façonné par des siècles de conflits, constamment déstabilisé par «des ambitions et des décisions qui bafouent la justice et la paix», «le fait d’être un peuple au passé glorieux représente un don et une responsabilité» a souligné le Pape.

Pont entre l’Orient et l’Occident

Le Saint-Père a ensuite invité le parterre de diplomates et d'autorités officielles à s’arrêter un instant sur l’emblème choisi pour ce voyage dans ce territoire allant des frontières européennes aux confins de l’Orient. L’image du pont du détroit des Dardanelles, trait d’union entre l’Europe et l’Asie, exprime le rôle singulier du pays transcontinental, a-t-il expliqué: «Vous occupez une place importante dans le présent et l’avenir de la Méditerranée et du monde entier, en valorisant avant tout vos diversités internes». «Avant de relier l’Asie et l’Europe, l’Orient et l’Occident, a précisé Léon XIV, ce pont relie en effet la Turquie à elle-même, en assemble les parties et en fait ainsi, pour ainsi dire, du dedans, un carrefour de sensibilités, dont l’homogénéisation représenterait un appauvrissement». «Une société n’est vivante que si elle est plurielle: ce sont les ponts entre ses différentes identités qui en font une société civile» a assuré le Saint-Père, tout en déplorant l’extrême polarisation et fragmentation à l’œuvre aujourd’hui dans le monde.

Les chrétiens, membres à part entière de la société turque

Dans ce pays essentiellement musulman, où la petite communauté catholique ne représente que 0,04% de la population, le Pape assure que les chrétiens «sont et se sentent partie intégrante de l’identité turque», et «ont eux aussi la volonté de contribuer positivement à l’unité du pays». Le Successeur de Pierre a rappelé l’œuvre de saint Jean XXIII, surnommé le «Pape turc» en raison de la profonde amitié entretenue avec le pays: «Celui-ci, qui fut administrateur du vicariat latin d’Istanbul et délégué apostolique en Turquie et en Grèce de 1935 à 1945, s’est beaucoup investi pour que les catholiques ne s’écartent pas eux-mêmes de la construction de votre nouvelle République».

Le Saint-Père a poursuivi en faisant siens les mots d’alors de saint Jean XXIII: «Nous, catholiques latins d’Istanbul et catholiques d’autres rites arménien, grec, chaldéen, syrien, etc., nous sommes ici une modeste minorité qui vit à la surface d’un vaste monde avec lequel nous n’avons que des contacts de nature extérieure. Nous aimons nous distinguer de ceux qui ne professent pas notre foi: frères orthodoxes, protestants, israélites, musulmans, croyants ou non-croyants d’autres religions [...]. Il semble logique que chacun s’occupe de lui-même, de ses traditions familiales ou nationales, en restant confiné dans le cercle limité de sa propre communauté [...]. Mes chers frères et enfants, je dois vous dire que, à la lumière de l’Évangile et du principe catholique, cette logique est fausse». Depuis lors, a expliqué Léon XIV, «de grands pas ont sans aucun doute été réalisés au sein de l’Église et dans votre société, mais ces paroles continuent de dégager une grande lumière et d’inspirer une logique évangélique plus authentique, que le Pape François a qualifiée de "culture de la rencontre"».

Rappelant l’opposition de son prédécesseur argentin à la «mondialisation de l’indifférence», et l’appel de ce dernier pour une action compatissante, reflétant le Dieu unique, le Saint-Père a à nouveau convoqué l’image du pont: «En se révélant, Dieu a établi un pont entre le ciel et la terre: il l’a fait pour que notre cœur change, devenant semblable au sien. C’est un pont suspendu, grandiose, qui défie presque les lois de la physique: tel est l’amour qui, outre sa dimension intime et privée, a aussi une dimension visible et publique».

La justice et la miséricorde défient la loi de la force

Soulignant le rôle central joué par la religion en Turquie, le Pape a souligné qu’il était «fondamental d’honorer la dignité et la liberté de tous les enfants de Dieu». «Ceux qui ont un cœur docile à la volonté de Dieu promouvront toujours le bien commun et le respect de tous», car «la justice et la miséricorde défient la loi de la force» et «osent demander que la compassion et la solidarité soient considérées comme des critères de développement». Des critères essentiels dans un monde traversé par «une évolution technologique qui pourrait autrement accentuer les injustices au lieu de contribuer à les dissoudre». Une fois de plus, Léon XIV a mis en garde contre les effets dévastateurs de l'intelligence artificielle, et a appelé à travailler «pour réparer les dommages déjà causés à l’unité de la famille humaine».

La famille humaine

Léon XIV a poursuivi en soulignant l’importance de la famille dans la culture turque. Une fois encore, le Pape a convoqué l’image du pont que représente la famille, structure qui lie «le destin de tous et l’expérience de chacun». «Ce n’est pas dans une culture individualiste, ni dans le mépris du mariage et de la fécondité, que les personnes peuvent obtenir de meilleures chances dans la vie et le bonheur» a assuré le Saint-Père. «Ceux qui méprisent les liens fondamentaux et n’apprennent pas à en supporter les limites et les fragilités deviennent plus facilement intolérants et incapables d’interagir avec un monde complexe». Le Pape a notamment souligné l’importance de la participation active des femmes «à la vie professionnelle, culturelle et politique», et leur influence positive sur la scène internationale.

Coopérer au service d’une paix juste et durable

«Monsieur le Président, puisse la Turquie être un facteur de stabilité et de rapprochement entre les peuples, au service d’une paix juste et durable» a exhorté le Saint-Père. Rappelant les voyages réalisés en Turquie par quatre de ses prédécesseurs, Léon XIV a souligné les bonnes relations entretenues entre le Saint-Siège et la République de Turquie. «L’occasion même de ce voyage, le 1700e anniversaire du Concile de Nicée, nous parle de rencontre et de dialogue, tout comme le fait que les huit premiers Conciles œcuméniques se sont tenus sur le territoire de l’actuelle Turquie» a précisé le Saint-Père.

«Aujourd’hui plus que jamais, a rappelé le Pape, nous avons besoin de personnalités qui favorisent le dialogue et le pratiquent avec une volonté ferme et une ténacité patiente». «Nous traversons une phase fortement conflictuelle au niveau mondial, où prévalent les stratégies de pouvoir économique et militaire, alimentant ce que le Pape François appelait “la troisième guerre mondiale par morceaux”». Léon XIV a appelé à ne pas céder à cette dérive et à œuvrer au contraire pour relever ensemble les nombreux défis, «à savoir la paix, la lutte contre la faim et la misère, la santé et l’éducation, et la sauvegarde de la création». Le Pape a conclu son discours en rappelant le souhait du Saint-Siège de «coopérer avec toutes les nations qui ont à cœur le développement intégral de tout homme et de tous les hommes»: «Marchons donc ensemble, dans la vérité et l’amitié, en nous confiant humblement à l’aide de Dieu».

Le Souverain pontife rencontrera ensuite la présidence des Affaires religieuses (Diyanet), une agence publique créée en 1924 pour remplacer l'autorité religieuse ottomane après l'abolition du califat. Il reprendra ensuite l’avion pour se rendre à Istanbul où il séjournera dans les bâtiments de la délégation apostolique.

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27 novembre 2025, 14:28