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Le Pape François recevant les évêques du Cameroun en visite ad limina apostolorum, vendredi 15 septembre 2023. Le Pape François recevant les évêques du Cameroun en visite ad limina apostolorum, vendredi 15 septembre 2023.  (ANSA)

Avec le Pape, les évêques du Cameroun ont parlé de la situation de l’Eglise et du pays

La visite ad limina des évêques du Cameroun s’est achevée samedi 16 septembre 2023, avec une messe conclusive à l’université pontificale urbanienne. Dans l’interview qu’il a accordé à Vatican News, Mgr Nkea est revenu sur quelques thèmes dont ils ont parlé avec le Saint Père au cours de l’audience qu’il leur a accordée vendredi 15 septembre. Il a notamment évoqué les défis pastoraux, la crise séparatiste de la zone anglophone et la préparation au synode.

Entretien réalisé par Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican

Les défis pastoraux, l’évolution de la situation sociopolitique, en particulier la crise séparatiste de la zone anglophone; la contribution de l’Eglise dans la recherche des solutions durables, le synode sur la synodalité, sont autant des thèmes qui étaient au menu de l’entretien du Pape François avec les évêques membres de la Conférence épiscopale du Cameroun. L’archevêque de Bamenda et président de la conférence épiscopale du Cameroun, Mgr Andrew Nkea, est revenu sur cette rencontre avec le Saint-Père. Ci-après, nous vous proposons l’entretien qu’il nous a accordé.

Mgr Andrew Nkea, que pouvons-nous retenir de votre visite ad limina?

Les évêques viennent tous les cinq ans à Rome pour rencontrer le Saint-Père. Premièrement pour approfondir la communion entre le Saint-Père et les évêques de l'église locale. Nous sommes venus ici à Rome, toute la conférence épiscopale. Le Saint-Père nous a reçus et nous avons parlé de la situation actuelle de l'église qui est au Cameroun. Nous avons aussi parlé de la situation sociale de nos fidèles, la population camerounaise. Nous avons porté attention aux défis que nous avons comme pasteurs dans nos églises locales. Nous avons reçu beaucoup d’encouragements de sa part. De notre côté, nous lui avons présenté nos remerciements pour tout ce qu’il a fait pour nous:  le Saint Père a prié plusieurs fois pendant l'Angélus pour la paix au Cameroun. Il nous a prodigué beaucoup de conseils concernant la situation sociopolitique de notre pays. Avec le Pape, nous avons aussi parlé du synode des évêques et il nous a partagé sa vision. Il était content que trois évêques du Cameroun soient avec lui pendant le synode.

Monseigneur, quel message du Pape allez-vous apporter aux fidèles du Cameroun?

Beaucoup d'encouragements dans leur foi. Le Pape était aussi content que nous avons une église très vibrante. Il était surtout heureux de nos jeunes. Le Saint Père a par ailleurs apprécié nos programmes pastoraux, concernant surtout la synodalité que nous pratiquons déjà chez nous avec nos communautés ecclésiales de base. Il était très, très fier de tous nos catéchistes qui nous soutiennent dans nos missions pastorales, dans les diocèses. Nous allons apporter avec nous au Cameroun ces encouragements du Saint-Père et aussi les prières qu'il nous a promises.

Monseigneur, vous êtes président de la Conférence épiscopale du Cameroun et vous avez évoqué les défis pastoraux dont vous avez parlé avec le Saint-Père. De manière générale, comment se porte votre pays, le Cameroun, du point de vue pastoral et sociopolitique?

Du point de vue pastoral, nous sommes sur le bon chemin.

Avec la situation sociopolitique de notre pays, nous avons beaucoup de défis. Premièrement, nous avons la crise sociopolitique dans notre zone anglophone. Ça fait déjà six ans. Nous sommes entrés dans la septième année de cette crise sociopolitique. Et vous savez que ça faisait six ans que les enfants n’allaient pas à l'école. Heureusement, les deux dernières années, ils ont commencé à aller à l'école. Mais il y a encore des zones où les enfants ne vont pas à l'école: c’est pour tuer vraiment toute une génération. Heureusement l’église a créé des écoles partout. Maintenant les séparatistes ont des problèmes avec les écoles publiques. Ils attaquent moins nos écoles, mais le défi reste. Deuxièmement, il y a aussi la pauvreté, engendrée par cette situation. Quand il y a la guerre, il y a des problèmes sociopolitiques, il y a les déplacés. Beaucoup de déplacés qui ont fui les villages, ils se trouvent partout dans les grandes villes. Il y a aussi beaucoup de souffrance, parce que tous ces peuples se trouvent entre le gouvernement, les soldats du gouvernement et les séparatistes. Donc ils sont au milieu de ces deux forces et ce n'est pas facile pour eux. Il y a aussi les jeunes qui n'ont pas le travail. Ils prennent les fusils, ils commencent à travailler avec les séparatistes en espérant que s'ils trouvent leur indépendance, ils vont trouver le travail. Mais c'est vraiment une illusion. Nous les avons conscientisés pour qu’ils se détournent de ce chemin. Nous espérons que ça va finir bientôt. Avec la prière et le soutien de Pape François, on va trouver la paix bientôt.

Monseigneur, vous avez évoqué cette crise qui est un grand défi pour la nation camerounaise. Selon vous, comment évaluer l'évolution de cette crise qui dure depuis six ans, comme vous venez de le dire?

La crise a commencé comme une blague, mais vous voyez c'est déjà 6 ans, le gouvernement ne la prenait pas au sérieux au début. Maintenant que ces jeunes qui ont des fusils ont goûté à l'argent, parce qu'ils font des kidnappings, des enlèvements,… ils ne peuvent plus laisser.

Il y en a donc qui trouvent leur compte dans cette crise?

Oui, ils trouvent, disons, leur manière de vivre. Ça devient un business pour eux. Donc, c'est une situation très grave. Et je ne sais pas comment on va faire pour sortir de cette crise. Parce qu'une fois que les jeunes ont les fusils en main, et ils vivent avec ça, ils ne vont plus laisser si facilement.

Donc, il faut beaucoup de prières, beaucoup de dialogues et beaucoup de stratégies, n'est-ce pas, pour sortir de cette crise que nous avons au Cameroun.

Et quels sont les efforts que l'État camerounais est en train de mener aujourd'hui pour mettre fin à cette crise?

En 2019, le gouvernement avait organisé le grand dialogue national avec la participation de plus de 1.000 personnes. A partir de ce jour-là, ils ont commencé à changer les choses petit à petit. Ils ont parlé de la décentralisation. Mais comme j'avais évoqué pendant notre rencontre avec le premier ministre pour évaluer les fruits de ce grand dialogue, je disais qu’il fallait maintenant passer à la pratique, pour que tout ne reste pas que sur papier.

Il faut décentraliser le pays. Si on ne fait pas ça, on va rester toujours bloqué avec la centralisation de toutes les choses à Yaoundé. Mais je pense que le gouvernement a déjà beaucoup travaillé sur cette décentralisation. Maintenant il faut faire aussi passer à d’autres étapes, donner le pouvoir aux régions, parce les documents prévoient tous ces conseils régionaux, dont la population ne ressent pas encore les impacts.

Et quelle est alors la contribution de l'Église catholique pour une paix durable dans cette situation marquée par la crise de la zone anglophone?

Je viens de cette zone anglophone et je peux parler avec autorité. Depuis le début de cette crise, nous n’avons cessé d’insister sur le fait que la paix ne peut pas s’obtenir en faisant la guerre, mais seulement avec le dialogue. On ne peut jamais trouver la paix avec les fusils, mais avec le dialogue et la compréhension mutuelle.

Deuxièmement, on n'a jamais accepté qu'on utilise les enfants pour faire la guerre, donc on insiste toujours pour que les écoles restent ouvertes. L'éducation c'est la seule chose qu'on peut donner à nos enfants pour leur avenir et pour l'avenir de notre nation.

Troisièmement, on a essayé de faire la médiation entre le gouvernement et certains séparatistes qui sont dans les brousses ou hors du pays. Nous continuons à cheminer avec notre gouvernement pour chercher des solutions d’une paix durable pour la population. Ce n'est pas seulement pour le gouvernement ou pour les séparatistes, mais on insiste pour la population, pour le bien de la population.

Par ailleurs, l’Eglise intervient dans la prise en charge des personnes déplacées. Avec l’aide des bienfaiteurs, nous leur fournissons de la nourriture, les logements et autres soins, à travers nos Caritas diocésaines, en particulier celles de nos cinq diocèses de la province ecclésiastique du Bamenda. L’Eglise est en première ligne de front.

En outre, nous avons toujours appelé tous nos fidèles à prier. Cette crise nous a aidés à être ensemble avec les leaders des autres religions parce que nous travaillons avec les musulmans et les protestants et d'autres confessions religieuses. Et nous faisons tout cela ensemble parce que la paix n'a pas de religion, la paix est l'affaire de tous. Et grâce à Dieu, nous sommes très unis en tant que religions pour travailler ensemble à la recherche de la paix. C'est quelque chose que nous faisons ensemble.

Dans le communiqué final de votre 48e Assemblée plénière, qui s'est tenue à Yaoundé, du 16 au 22 avril 2023. Vous êtes notamment revenus sur l'appel au respect de la vie humaine. Et vous avez également dénoncé «l’incivisme et l'insécurité» qui ne cessent de sévir et de se généraliser dans le pays. Aujourd'hui, pensez-vous qu'il y a un changement où cette situation persisten encore?

Nous pouvons dire que chaque fois que les évêques parlent, quelque chose change. Nous ne parlons pas pour rien, nos fidèles nous écoutent. C'est pourquoi, chaque fois que nous faisons une conférence, nos concitoyens attendent beaucoup de nous. Nous avions parlé du respect de la vie humaine, parce que nous avions vu beaucoup de tueries dans notre société. Et avec la guerre qui a lieu dans le Nord-Ouest et dans le Sud-Ouest, il y a des gens qui se règlent des comptes. Des règlements de comptes, qui n'ont rien à voir avec la guerre: je regarde ton visage, je ne l'aime pas, je viens le soir et je te tue. Tes enfants vont à l'école, les miens n'y vont pas, je viens te tuer… Il y a donc beaucoup d’agissements qui nous ont poussé à banaliser la vie humaine. Et cela concerne aussi bien l'armée, l'État que les séparatistes. C'est pourquoi nous avons adressé cette lettre. Il y a aussi des tueries pour régler des comptes privés. C'est pour cela que nous avons dénoncé ces maux. Le cas du meurtre du journaliste Zogho en est un parmi tant d’autres. Jusque-là, les circonstances de sa mort n’ont pas encore été élucidées et nous attendons que justice soit faite.

Nous pouvons donc dire que l'insécurité et l'incivilité galopantes sont largement répandues dans le pays. Cela continue, peut-être un peu moins qu'avant, mais il faut encore beaucoup d’efforts pour améliorer la situation.

Monseigneur Nkea, vous avez aussi évoqué la question du synode, et trois évêques camerounais participeront au synode sur la synodalité qui s'ouvre le mois prochain. Quelle sera la contribution de l'Afrique et du Cameroun à ce synode?

Deux évêques vont représenter le Cameroun à ce synode. Moi je viendrai en tant que membre du Conseil synodal, et donc comme membre ex-officio.

Le synode sur la synodalité est quelque chose de nouveau. L'Eglise fait une réflexion sur elle-même, sur la manière dont nous voulons être Eglise.

Concernant l’Afrique, nous avons déjà fait une rencontre du SCEAM (Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar, ndlr) au Ghana. Il y a eu une autre phase continentale à Addis-Abeba, en Ethiopie. Et après la publication de la liste des délégués, nous nous sommes encore réunis à Nairobi pour situer un peu l'Afrique dans le synode et pour arrêter une position africaine sur certains points.

Et qu'est-ce que alors ce synode pourra apporter à l'Église africaine?

Il est vrai qu’il y a des choses que les Eglises africaines pourront prendre des autres. Mais à ce synode, nous allons surtout apporter notre contribution, dont nous avons parlé avec le Saint-Père. Nous avons évoqué nos communautés ecclésiales de base (CEB), nos catéchistes et animateurs pastoraux. C'est quelque chose que nous avons dans notre église en Afrique que les autres n'ont pas. Et si on veut parler vraiment de synodalité, ça commence toujours dans les communautés ecclésiales de base.

Pour une bonne synodalité, si l'évêque veut prendre une décision, il commence par consulter les familles, puis les communautés de base, les missions, la paroisse, et arrive enfin au niveau diocésain. C’est donc tout un processus qui part de la base et c'est quelque chose que notre église a comme richesse. Nous voulons aussi le proposer aux autres églises.

De ce synode, nous saurons aussi comment mieux prendre les décisions collégiales, ensemble; soit au niveau de la Conférence épiscopale nationale, soit dans les diocèses ou dans les paroisses. Ça ne doit pas être le prêtre ou l’évêque qui fait tout seul, car nous sommes tous membres de l’Eglise, prêtres et laïcs, autour d’une même table, même si, à la fin, il y a quelqu’un qui doit signer et porter la responsabilité.

Monseigneur, auriez-vous un mot de la fin?

Sur la crise dans la zone anglophone, je m’adresse aux deux parties, le gouvernement camerounais et les séparatistes. On continue à supplier notre gouvernement de ne pas abandonner le dialogue, de continuer à dialoguer soit avec les séparatistes qui sont au pays ou bien leurs chefs qui sont ailleurs, qui sont hors de pays. Il faut chercher à continuer ce dialogue. On ne peut jamais trouver la paix par la guerre, avec la force.

Deuxièmement, je m’adresse aux séparatistes. Ils menacent trop la population. On les supplie d’être du côté de la la population. Le peuple n'a rien à voir dans cette crise. Il faut laisser les enfants aller à l'école, permettre aux citoyens de vaquer librement à leurs business, à leurs occupations et trouver de quoi vivre. Il faut aussi épargner la population des «lockdown» à répétition, et les gens peuvent gérer leur vie dans la tranquillité et la liberté.

Du point de vue pastoral, nous retournons au pays avec une force renouvelée, des nouvelles énergies pour continuer la pastorale dans tous nos diocèses. Et nous remercions le Saint-Père pour sa paternité, son accueil et sa proximité.

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19 septembre 2023, 16:08