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Sri Lanka: l'Église et le défi du dialogue interreligieux

Bien que vive et active, l’Église au Sri Lanka peine encore à vivre une pleine liberté religieuse. Elle cherche encore la lumière sur les attentats de Pâques 2019. Le curé de St Sebastian, à Negombo a œuvré pour éviter des réactions violentes de catholiques. Des familles ont perdu leurs enfants. Seule la foi les aide sur le chemin de la réconciliation.

Antonella Palermo - Negombo (Sri Lanka)

Essayer de comprendre, sur le terrain, les contours du défi du dialogue interreligieux était l'un des objectifs du voyage entrepris au Sri Lanka avec la Fondation MAGIS (Jesuit Movement and Action Together for Development), qui soutient plusieurs projets dans le pays asiatique, en particulier dans le domaine de l'éducation. L'image qui s'est dégagée est celle d'une Église qui, bien que très active et vivante, lutte encore dans certains domaines pour vivre une liberté religieuse totale, qui peine à trouver des réponses claires, de la part des institutions politiques et judiciaires, aux tragiques attentats de Pâques 2019, et qui, même en son sein, peine à reconnaître pleinement les stimuli du Synode pour vaincre le cléricalisme.

Absence de clarté sur les attentats de Pâques

«Nous ne sommes toujours pas satisfaits des réponses qu'ils nous ont données», a déclaré le père Manjula Niroshan, de l'église Saint-Sébastien à Negombo, l'une des trois églises qui ont subi une attaque coordonnée par six kamikazes le 21 avril 2019 lors des célébrations de Pâques, qui ont également ciblé trois hôtels dans différentes villes. Le nombre total de victimes s'élève à 279 et de nombreux blessés sont à déplorer. Le mécontentement exprimé par le prêtre correspond à ce que la communauté catholique sri-lankaise exprime depuis le début, critiquant les enquêtes insuffisantes du gouvernement et allant même jusqu'à adresser une pétition aux Nations unies pour demander une enquête internationale. La rénovation de ce lieu de culte a été menée rapidement, et l'église, parmi les quarante qui existent dans le township, est aujourd'hui accueillante et agréable, mais toujours sous la surveillance constante de la police. Dans certains cas, des familles entières ont été décimées dans l'attentat de 2019, rapporte le père Manjula. Dans d'autres cas, seuls les parents sont restés en vie. «Plusieurs survivants ont un peu peur parce qu'ils sont seuls dans la maison, d'autres ont peur de l'avenir, ils ont perdu l’espoir de vivre après la mort de leur fils unique. La foi demeure pour les aider. Ils essaient de gérer leur vie quotidienne», dit-il, «toujours avec des difficultés, mais avec l'aide de l'assistance sociale, ils se sentent pris en charge et sont sortis du traumatisme». Le prêtre explique que la communauté ecclésiale n'a pas manqué d'apporter un soutien continu.

L'action de l'Église en faveur des victimes

Environ deux mille familles catholiques fréquentent la paroisse de Saint-Sébastien. Le père Niroshan explique que les survivants ont été aidés pour la construction de leurs maisons, pour la création d’entreprises, pour un soutien économique, pour la collecte de fonds destinés à ceux qui ont subi des dommages permanents: «Nous les avons aidés en payant leurs factures, leurs frais médicaux. Les gens se sont réconciliés avec ce qui s'est passé, mais seulement jusqu'à un certain point», souligne le curé. Cet attentat, explique-t-il encore, ne semble pas avoir perturbé les relations avec les autres religions, qui ne sont généralement pas problématiques. «Il y a beaucoup de coopération et nous travaillons également avec des représentants d'autres religions, le Sri Lanka étant après tout une multitude de religions. Dans le cas des attentats de Pâques, certains voulaient provoquer une réaction de notre part, mais grâce à ceux qui dirigent notre Église, nous n'avons permis aucune forme de représailles».

L'engagement pour la fraternité et le dialogue

«Cinq ans après ces événements, nous n'avons pas peur de vivre dans ce pays parce que nous sommes acceptés par les gens», remarque le recteur du Séminaire national, une belle structure de style anglais fondée par la Compagnie de Jésus, puis transmise aux Oblats, et qui appartient aujourd’hui à l'Église sri-lankaise. Le Père Quintus Fernando SJ explique que les chrétiens comprennent l'extranéité du motif religieux, et l'intrusion probable, au contraire, d'un élément politique «pour semer la haine religieuse. Nous avons besoin de politiciens qui aiment le peuple, qui aiment la nation et qui aiment le pays», souligne le jésuite. Le respect et la fraternité existent entre les différentes confessions, répète-t-il. «Il n'y a pas de tensions avec la majorité bouddhiste, ni même avec les hindous et les musulmans. Certains problèmes sont apparus lorsque les écoles wahhabites ont radicalisé l'islam». De plus, le religieux observe que le prosélytisme enflammé des évangéliques a ouvert une sorte de sillon, et a affecté de manière préjudiciable la manière dont les chrétiens sont perçus par les membres d'autres confessions.

Le chemin vers la pleine liberté religieuse

«Pendant de trop nombreuses années, les hommes et les femmes de ce pays ont été victimes de conflits civils et de violence. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est de guérison et d'unité, et non d'un conflit ou d'une division supplémentaire». Ces mots sont ceux du Pape François, prononcés lors de son voyage apostolique à Colombo (janvier 2015).

«J'espère que la collaboration interreligieuse et œcuménique, avait-t-il lancé, montrera que pour vivre en harmonie avec leurs frères et sœurs, les hommes et les femmes ne doivent pas oublier leur propre identité, ethnique ou religieuse». Aujourd'hui, Mgr Jude Nishantha Silva, évêque de Badulla, parle de la grande responsabilité des responsables religieux, dans la création d'un climat de paix au Sri Lanka. L’évêque va jusqu'à dire que l'agenda politique manque d'intérêt pour enquêter réellement sur ce qui se cache derrière ces attaques brutales: «Nous avons besoin d'un dialogue interreligieux et de relations avec les autres religions, mais il me semble que seuls les catholiques s'en préoccupent, voire le souhaitent vraiment». Mgr Silva n'exclut pas totalement qu'un événement similaire à celui qui s'est produit il y a cinq ans, puisse se reproduire à l'avenir. «Il y a des risques», déplore-t-il, en dénonçant le fait qu'en tant que minorité, il n'est pas très facile de construire une église, ou d'obtenir un terrain. «Rien que dans mon diocèse, nous essayons depuis près de 15 ans d'obtenir un terrain pour construire une petite chapelle. Une zone où vivent environ 30 familles. Nous en avons discuté à plusieurs reprises, même avec différents ministres, mais ils ne parviennent toujours pas à prendre une décision. C'est pathétique».

Au-delà des limites du cléricalisme

Malgré cette ouverture au dialogue interreligieux, l'Église sri-lankaise est confrontée en interne à différentes formes de «fermeture». Ce constat est partagé en particulier par les jésuites du pays, qui sont témoins, surtout dans certaines régions du nord, d'une action pastorale dans laquelle le système séparatiste des castes semble se refléter. Sœur Patricia Lemus, combonienne du Guatemala, vit à Hatton depuis quatre ans et demi. Collaboratrice du Centre Loyola, elle évoque quelques problèmes liés à la culture locale, dans laquelle laïcs et religieux collaborent activement dans un échange mutuellement bénéfique, mais qui finissent par entraver la construction d'une Église. Elle ne cache pas l'inconfort de vivre dans un contexte ecclésial «trop hiérarchisé» dans lequel les laïcs n'ont que trop peu de place. «Pour ce qui est d'être une Église synodale, nous sommes encore un peu en retard, et c'est d'ailleurs l'une de nos luttes. Il y a encore le poids d'une structure pyramidale, avec trop de cléricalisme. Nous espérons, petit à petit, que le fait de voir ici, ensembles, des sœurs de quatre continents différents peut être une source de changement. Nous voyons encore souvent qu'elles ne se mélangent pas, il y a des congrégations composées soit uniquement de Cinghalais, soit uniquement de Tamouls».

Sœur Patricia fait l'éloge de la spiritualité ignatienne qui aide à vivre un style authentiquement missionnaire. «J'aimerais que tout le monde écoute la voix du Pape François, dit-elle, pour une Église plus ouverte et plus libre. Pour ma part, j'aime beaucoup ce Centre parce que la majorité est hindoue et qu'en fin de compte, nous cherchons le même Dieu à travers des formes différentes».

Le rôle prophétique du Centre de Tulana 

C'est sur cette même ouverture, celle sur laquelle insiste tant le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, que se fonde la théologie approfondie par le jésuite sri-lankais Aloysius Pieris, fondateur en 1974 du Tulana Research Centre for Encounter and Dialogue, à Kelaniya, près de Colombo, qu'il dirige toujours. À quatre-vingt-dix ans, il vit toujours avec beaucoup d'énergie et d'humour dans cette sorte d'oasis où, dans une végétation dense, sont disséminées des œuvres d'art de grande valeur, principalement des sculptures d'art contemporain à thème sacré. Né comme lieu de retraite pour les religieux de la Compagnie de Jésus, le Centre Tulana s'est fortement caractérisé au fil du temps comme un espace de dialogue interreligieux bouddhiste-chrétien. C'est là, raconte le père Pieris, qu'il en est même venu à accueillir des moines bouddhistes «dissidents» au moment de la guerre civile. «Le magistère du Pape François a suscité en moi une relance de l'enthousiasme, comme après le Concile», s'exclame-t-il, ajoutant: «Jésus nous enseigne l'amitié qui embrasse tout le monde, j'espère que l'Église suivra François». Le rêve du père Aloysius est celui d'une Asie libre, débarrassée de la discrimination et de l'instrumentalisation des religions.

Formation au dialogue et à la réconciliation

Ambrogio Bongiovanni, président du MAGIS, impliqué dans le sous-continent indien depuis plus de trente ans, est un visiteur régulier de ce lieu, dont il s'inspire constamment. «Le dialogue interreligieux a pour objectif profond de rechercher Dieu et d'orienter les actions sociales, mais toujours en se référant à la transcendance. En Occident, observe-t-il, le dialogue prend certes de l'importance parce que la pluralité du monde frappe à nos portes, mais nous courons parfois le risque de le réduire à une simple expérience sociale, voire à un simple instrument politique». Grâce au projet MAGIS, qui démarre en ce moment au Sri Lanka, financé par l'Agence italienne pour la coopération internationale, l’intégralité de la précieuse documentation conservée dans cette réalité prophétique du pays trouvera sa place dans des salles rénovées et rendues à nouveau utilisables par des chercheurs et des experts. Ce sera l'occasion d'une formation continue pour ceux qui souhaitent se recentrer sur les origines les plus authentiques du dialogue interreligieux, pour favoriser la réconciliation.


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16 mars 2024, 12:36