Recherche

Photo Illustration Photo Illustration  (ANSA)

La guerre à l’Est du Congo à travers les yeux d’une avocate

Dans l’Est de la République démocratique du Congo, la guerre n’est plus un événement. Elle est devenue partie intégrante du paysage, un décor qui semble avoir élu domicile dans la région. Regarder cette triste réalité à travers le parcours d’une femme, c’est en comprendre toute la brutalité, mais aussi la résistance. Ella Mindja incarne cette double réalité.

Camille Mukoso, sj – Nairobi. 

Le Nord et Sud-Kivu, l’Ituri, Masisi ou Goma, ces localités et provinces sont devenues le théâtre d’une tragédie silencieuse. Des groupes armés s’affrontent au nom d’idéaux politiques, mais derrière leurs discours, c’est souvent l’or, le coltan ou la cassitérite qui décident du sort des vivants. Les armes circulent, les frontières s’ouvrent et se referment selon les intérêts du moment. Des puissances étrangères exploitent les failles de l’État congolais, tandis que des multinationales profitent des ressources extraites dans la souffrance. Les enfants grandissent dans l’exil intérieur, apprenant trop tôt le langage de la peur. Les femmes, elles, paient le prix le plus lourd. Elles sont violées, déplacées, réduites au silence. Mais, dans ce chaos, elles ne sont pas que des victimes. Elles sont surtout et souvent des actrices essentielles de survie. Ce sont elles qui nourrissent, enseignent, pansent les plaies invisibles.

Le prix humain de l’ingérence

Ella Mindja est avocate et militante, originaire du Sud-Kivu. Elle a grandi au cœur d’un pays en guerre, là où l’enfance s’apprend dans les ruines et où la peur devient une compagne silencieuse. Des villages de Bukavu aux tribunes de l’ONU, Mindja a porté la voix des femmes congolaises. Elle a plaidé devant la Commission africaine des droits de l’homme, l’Union européenne, et même le Conseil de sécurité. Partout, le même message: «Les femmes congolaises refusent la résignation» Aujourd’hui, depuis Nairobi, où elle poursuit un master en études de paix et relations internationales à Hekima University College, elle continue de faire ce qu’elle a toujours su faire: donner une voix à celles qu’on réduit au silence. «La guerre n’est pas un souvenir lointain, dit-elle, c’est une réalité qui m’accompagne depuis l’enfance»

Douleur et résilience au cœur d’une vocation pour la paix 

Les images qu’elle évoque sont celles que personne ne devrait garder: les cris, les cadavres, la poudre des fusils, la kalachnikov sur la nuque. Mais entre ces éclats d’horreur, Mindja conserve aussi d’autres souvenirs: la solidarité, les gestes d’amour, cette obstination de vivre quand tout semble perdu. Ce double héritage – la douleur et la résistance – a forgé sa vocation: faire du droit une arme pacifique. Son engagement n’est pas né d’un slogan, mais d’une blessure. Face à l’injustice,  elle a choisi le chemin du barreau.  «Trop de pertes, trop d’abus impunis… Le droit m’est apparu comme l’outil le plus concret pour changer les choses». Dans les cliniques juridiques, elle a écouté ces femmes brisées par la guerre, ces mères et ces filles marquées à vie par la violence. «Derrière chaque dossier, j’ai compris qu’il y a une vie à réhabiliter», confie-t-elle. De cette proximité avec les victimes est née sa conviction que la justice ne peut être froide. Elle doit avoir un visage, une écoute, une compassion.

Femmes de paix dans un pays en guerre

Pour Mindja, la paix ne se décrète pas; elle se construit avec celles qui ont survécu. «Les femmes doivent occuper une place centrale dans les processus de paix, pas seulement parce qu’elles sont victimes, mais parce qu’elles savent ce que signifie reconstruire la vie». Elle dénonce ces négociations menées "entre hommes et pour les hommes" où les femmes ne sont qu’un décor.      «Beaucoup d’accords de paix échouent parce qu’ils oublient la moitié de l’humanité», dit-elle avec fermeté. La paix véritable ne peut être décrétée depuis les palais des gouvernements; elle naît de la vie quotidienne, de la survie, de la solidarité. En ce sens, la femme congolaise est la première diplomate de la paix, non pas celle des mots, mais celle des actes. Aussi plaide-t-elle pour des mécanismes concrets, tels que des cliniques juridiques, des cellules d’accompagnement psychologique, et surtout la participation directe des femmes aux décisions. «La paix ne viendra pas des discours, mais de la dignité rendue à celles qui portent la vie dans un pays qui détruit».

L’espérance au féminin

Et pourtant, malgré tout, la vie persiste. Dans les camps de déplacés, dans les marchés improvisés, des femmes continuent de croire à la possibilité d’un lendemain. Elles sont veuves, mères, orphelines, mais debout. Mindja voit en elles les véritables diplomates de la paix, celles qui, sans titre ni tribune, tissent les liens invisibles qui maintiennent la société en vie. Aujourd’hui, Ella Mindja réfléchit à ce que signifie ‘réparer un pays’. Elle incarne cette génération qui veut penser la paix non comme absence de guerre, mais comme présence de justice. Son parcours, marqué par la guerre et la résilience, témoigne que la paix n’est pas un rêve abstrait, mais un travail quotidien, une conversion du regard et des structures.

«Chaque pierre compte pour reconstruire le Congo»

À ces jeunes filles congolaises qui grandissent dans la peur, Mindja adresse un message: «La volonté de Dieu ne nous conduit jamais là où sa grâce ne peut nous soutenir. Vous avez déjà montré une force extraordinaire. C’est à vous maintenant de bâtir, pierre après pierre, le Congo que nous voulons». Et lorsqu’on lui demande ce qui la fait encore espérer, elle répond: «La souffrance des femmes congolaises ne doit pas être vue comme une fatalité, mais comme une force de transformation. Ces femmes se lèvent chaque matin, elles nourrissent la vie au cœur du désastre. Elles sont la vraie espérance du Congo». Sous la robe noire de l’avocate, on devine la lumière d’une résistante. Ella Mindja ne parle pas seulement du Congo. Elle parle du monde, de cette part d’humanité qui choisit la vie malgré la guerre.

 

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

22 octobre 2025, 12:43