Père Patrick Etamesor, SJ, directeur régional de JRS Afrique de l'Ouest Père Patrick Etamesor, SJ, directeur régional de JRS Afrique de l'Ouest  

Père Etamesor, des JRS: nous ne devrions pas rester les bras croisés face à la question migratoire

Le jubilé des migrants concerne non seulement les personnes déplacées, mais aussi toutes les structures engagées dans l’apostolat migratoire. C’est dans ce cadre que nous avons joint le père Patrick Etamesor, coordinateur du JRS pour l'Afrique de l'Ouest. Le message du prêtre jésuite est que «malgré les difficultés que traverse le secteur migratoire, le désespoir n’est pas permis». Aussi interpelle-t-il la conscience commune contre l'indifférence croissante face à la problématique migratoire.

Fabrice Bagendekere, SJ – Cité du Vatican

La question des migrants occupe aujourd’hui une place de choix au sein des débats de société. Des simples interrogations des bourgeois à des véritables discussions sur l’avenir des nations, une question se pose: «doit-on continuer à les accueillir et jusqu’où?» La réponse à cette inquiétude n’est jamais précise, du moins ne recueille pas l’unanimité. Bien au contraire, tous ceux qui tentent de l’affronter en toute sincérité se trouvent rapidement devant une véritable fracture dans l’opinion, divisés entre ceux qui veulent protéger leur nation, leur culture et surtout leur économie de toute menace extérieure, et le devoir de solidarité que nous rappelle la conscience commune. Dans ce contexte d’inquiétude, vivre le jubilé des migrants, c’est se laisser interpeller par leur présence, non pas comme des «simples données des statistiques», mais comme «des personnes créées à l'image de Dieu, dotées d'une divinité inhérente et qui méritent respect, amour et assistance», nous dit le père Patrick Etamesor. Plutôt que de les considérer comme «des problèmes auxquels il faut trouver des solutions», il faut se laisser travailler par le témoignage d'espérance et de vitalité qu’ils nous offrent, ainsi nous faire évoluer dans notre propre cheminement de foi et de vie, nous dit le prêtre jésuite.  

Les migrants nous défient dans notre foi, notre espérance et notre charité

Les migrants, nous dit le père Etamesor, nous rappellent «l’essentiel de notre itinéraire vers Dieu: la foi, l’espérance et la charité». D’une part, explique-t-il, «on ne peut pas parler de leur parcours et de leur cheminement sans se laisser interpeler par leur résilience». En ce sens, dit le prêtre jésuite, «leur présence constitue un défi pour nous, surtout face aux épreuves que peut nous réserver la vie». D’autre part, affirme-t-il, l’aboutissement de leur combat devrait nous amener à réfléchir sur l’action de Dieu dans nos vies et dans l’histoire. «Malgré les épisodes sombres que connait le monde actuel, nous ne devons pas cesser de croire que Dieu est à l’œuvre dans le temps», dit le père. Et comme pour se résumer, le jésuite nigérian interpelle chacun de nous contre l’indifférence et l’inaction face à la souffrance qu’endurent ces millions de personnes obligées de laisser leur patrie pour une vie meilleure. «Nous ne devrions pas rester les bras croisés, après ce jubilé», exhorte celui qui chemine auprès des réfugiés d’Afrique.


Les conséquences de la coupure de l’aide humanitaire s’avère déjà durer très longtemps

L’urgence d’une contribution globale à l’action migratoire n’est plus à rappeler. En effet, nul n’est sans ignorer que le secteur humanitaire a subi des coupures drastiques en termes de financement. Ces coupures, affirme le père Etamesor, «ont eu des impacts énormes sur les services qui étaient accordés aux réfugiés et migrants, de telle sorte que leur niveau de vulnérabilité a augmenté». Selon le prêtre jésuite, les conséquences des réductions des budgets loués à leur service sont «très pénibles et s’avèrent durer très longtemps». Il avise que «le plan financier de l’année prochaine s’annonce difficile, même pour des organisations comme la JRS» reconnue pour la solidité de ses structures. Aussi, dit-il ne cesser de regretter de voir que les priorités des nations sont désormais ailleurs, et non dans le bien commun, sur la base duquel se fonde la solidarité internationale.

Des conséquences déjà visibles qui en prédisent d’autres plus pénibles

Parmi les conséquences déjà visibles dans sa zone d’action, les régions de l’ouest et du centre de l’Afrique – y compris les Grands Lacs, le père Etamesor cite tout d’abord la difficulté de subvenir à l’éducation des enfants, faute de manque de financement des équipages et des enseignants. Il mentionne également la réduction des réfugiés à une vie passive. En effet, dit-il, la situation financière actuelle oblige leur institution à effectuer un ajustement, limitant les services aux simples biens de première nécessité, avec comme implication de laisser tous les schémas d’insertion des familles dans leur lieu de refuge, notamment par des activités génératrices des revenues. Or, autant à l’échelle mondiale que dans ces deux régions africaines, s’inquiète le prêtre, le nombre des personnes déplacées ne cesse d’augmenter, plus de 12 millions dans les seules deux étendues sous sa gestion, selon les statistiques d’avril 2025. «On se trouve donc devant une crise énorme, avec beaucoup moins de moyens pour y répondre», s’indigne le jésuite. Pour lui, aujourd’hui plus que jamais, «aider les personnes déplacées à s’insérer pleinement dans leur nouveau milieu n'est pas un choix mais une nécessité», au risque d’entretenir d’autres problèmes pour l’avenir.


Au-delà d’une simple intégration, l’aide aux migrants implique un processus de réconciliation

L’intégration des migrants et des réfugiés est l’un des grands objectifs poursuivis par le Jesuit Refugees Service. Ce processus aussi complexe que multidimensionnel nécessite une approche collaborative qui implique l’État qui accueille les personnes déplacées, les communautés locales dans lesquelles ils sont désormais appelés à vivre, les migrants eux-mêmes, ainsi que le JRS, appelé à assurer le pont entre toutes les parties. Le terme utilisé par l’organisation jésuite pour nommer leur action va au-delà de la simple intégration. Le JRS parle de «réconciliation».

Il s’agit, nous dit le père Etamesor, de «créer des communautés en harmonie, grâce à des espaces qui facilitent l'interaction entre les personnes au sein de la communauté, en veillant au bien-être psychologique des uns et des autres». Ceci, dit-il, suppose non-seulement un accompagnement psychosocial des personnes, notamment celles qui ont subi des crises profondes, mais aussi leur «autonomisation professionnelle et économique», en créant des cadres qui leur garantissent l'accès au marché. Il est triste de constater que les gouvernements, malgré la ratification des accords internationaux sur l’accueil et la protection des migrants et des réfugiés se montrent moins concernés par cette démarche, regrette le prêtre jésuite.

L’inaction des États dans la cause migratoire, un non-respect de leurs engagements internationaux

Le degré d’indifférence qu’affichent les États dans l’approche des personnes déplacées inquiète le père Etamesor. Selon le prêtre jésuite, l’inaction des gouvernements dans la cause migratoire constitue un obstacle aux fondamentaux mêmes du processus de leur intégration. Il explique, par exemple, qu’aujourd’hui, il est très difficile d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugiés pour les demandeurs d’asile. Pourtant, dit-il, «cela reste une condition essentielle à l'intégration». La conséquence de ce refus, montre-t-il, est qu’il est «impossible pour les réfugiés de trouver de l'emploi, de bien s'installer ou bien de s'intégrer dans le système du pays où ils se trouvent», avec comme rebondissement qu’ils sont obligés de «vivre dans l'ombre de l'économie officielle».

La requête du jésuite est simple: «si les États respectent les accords qu'ils ont signés, bien sûr, les réfugiés, les migrants auront largement les ressources nécessaires pour bien vivre et pouvoir s'épanouir dans leur nouvelle communauté».

Pour suivre l'intégralité de l'entretien du Père Etamesor

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04 octobre 2025, 11:50