In unitate fidei, «un message de foi, d’unité, et d'espérance»
Entretien réalisé par Françoise Niamien - Cité du Vatican
In unitate fidei (Dans l’unité de la foi), la première lettre apostolique du pontificat de Léon XIV est dédiée au 1700e anniversaire du Concile de Nicée en 325 au cours duquel les 318 pères conciliaires, guidés par l'Esprit Saint ont proclamé solennellement que Jésus-Christ est «Fils de Dieu, engendré non pas créé, de la même substance (homooúsios) que le Père». Ainsi, ce document s’inscrit dans la préparation du voyage apostolique de Léon XIV en Turquie et au Liban, du 27 novembre au 3 décembre. En Turquie, le Saint-Père participera à une commémoration œcuménique de ce Concile près des fouilles archéologiques de l’ancienne basilique Saint-Néophyte à İznik. Des rencontres privées avec les chefs des Églises et des communautés chrétiennes à l’église syriaque-orthodoxe de mor Éphrem est également au programme.
Dans un entretien accordé à Radio Vatican-Vatican News, le prêtre ivoirien Hyppolite Agnigori, curé de la paroisse Saint-Jean-Paul-II de Cocody-Angré dans l’archidiocèse d’Abidjan et professeur d’histoire de l’Église, revient notamment sur le message œcuménique contenu dans In unitate fidei.
Que devons-nous retenir de la lettre apostolique In unitate fidei du Pape Léon XIV ?
À l'occasion du 1700ᵉ anniversaire du Concile de Nicée (325-2025) et du Jubilé de l'Espérance 2025, le Pape Léon XIV nous appelle à redécouvrir le cœur de notre foi chrétienne: Jésus-Christ, Fils de Dieu, «de la même substance que le Père». La lettre rappelle que le Credo de Nicée-Constantinople, que nous proclamons chaque dimanche, n'est pas une formule théorique mais l'expression de notre salut. Le Christ n'est pas venu comme un Dieu lointain, mais Il «est descendu du ciel pour notre salut, s'est incarné et s'est fait homme». Cette foi doit se traduire concrètement dans notre vie: respect de la création, partage avec les pauvres, amour des ennemis, engagement pour l'unité des chrétiens. Le Pape insiste particulièrement sur la dimension œcuménique: le Credo de Nicée unit tous les chrétiens — catholiques, orthodoxes, protestants — et doit nous pousser à marcher ensemble vers la pleine communion visible.
Quel est votre regard sur In unitate fidei ?
J’ai un regard d'admiration et d'interpellation. Le Saint-Père rend accessible une vérité dogmatique complexe. Langage à la fois rigoureux et pastoral. Il montre que le Credo n'est pas une théorie abstraite mais chemin de salut concret «pour nous les hommes et pour notre salut». Il lie indissociablement foi (homooúsios) et vie (partage avec les pauvres, respect de la création, amour des ennemis). L'interpellation est forte. Cette lettre nous oblige à un examen de conscience. Vivons-nous vraiment ce que nous professons ? Le Pape nous demande: «Qu'en est-il aujourd'hui de la réception intérieure du Credo ? Avons-nous le sentiment qu'il concerne aussi notre situation actuelle ?».
Dans cette Lettre apostolique, le Pape retrace l’histoire du Concile de Nicée en s’attardant sur le Credo. De ce fait, que pouvons savoir du Concile de Nicée et de celui de Constantinople ?
Tout d’abord, le Concile de Nicée (325) a été convoqué par l'empereur Constantin pour répondre à l'hérésie d'Arius, qui enseignait que Jésus n'est pas vraiment Dieu mais une créature intermédiaire - «il y aurait eu un temps où le Fils n'était pas». Les 318 pères conciliaires, guidés par l'Esprit Saint et soutenus par des figures comme saint Athanase et l'évêque Osio de Cordoue, ont proclamé solennellement que Jésus-Christ est «Fils de Dieu, engendré non pas créé, de la même substance (homooúsios) que le Père». Cette affirmation rejette radicalement l'arianisme: si le Christ n'est pas vraiment Dieu, il ne peut pas nous sauver. Le Concile a également insisté sur l'Incarnation réelle, «pour nous les hommes et pour notre salut, il est descendu du ciel, s'est incarné et s'est fait homme». Saint Athanase résume magnifiquement: «Le Fils, devenu homme, nous a divinisés».
Le Concile de Constantinople (381) a complété le Credo de Nicée en formulant l'article sur le Saint-Esprit, grâce notamment aux trois Pères cappadociens (saint Basile de Césarée, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse). Le Credo professe désormais que «Nous croyons au Saint-Esprit, qui est Seigneur et qui donne la vie, et qui procède du Père. Avec le Père et le Fils, il est adoré et glorifié». Ainsi naît le Credo de Nicée-Constantinople, reconnu comme œcuménique depuis le Concile de Chalcédoine (451) et partagé par toutes les traditions chrétiennes. Sur la personne de Jésus, la lettre souligne qu'Il est «vrai Dieu né du vrai Dieu», «lumière née de la lumière», Celui qui a pris notre humanité tout entière - corps et âme - pour nous élever jusqu'à Dieu.
Étant une valeur œcuménique, le Credo témoigne de la foi des chrétiens en Jésus, Fils de Dieu. De part In unitate fidei, quels sont aujourd’hui les défis et les enjeux de l’œcuménisme ?
J’estime que le premier défi est de dépasser les divisions historiques. Le Pape rappelle que le Credo de Nicée-Constantinople est notre patrimoine commun avec les Églises orthodoxes et les communautés issues de la Réforme. «Ce qui nous unit est vraiment bien plus grand que ce qui nous divise !». Pourtant, malgré soixante ans de dialogue œcuménique depuis Vatican II, la pleine unité visible n'est pas encore accomplie. Le défi est de laisser derrière nous les «controverses théologiques qui ont perdu leur raison d'être» pour acquérir une pensée commune et surtout une prière commune.
Le deuxième défi qui aussi important, c’est l’œcuménisme spirituel. Léon XIV insiste: l'unité ne se construit pas d'abord par des négociations diplomatiques, mais par la conversion personnelle, la prière commune et l'échange des dons spirituels. Il faut un «œcuménisme de réconciliation sur la voie du dialogue», un chemin «patient, long et parfois difficile d'écoute et d'accueil réciproque». Le Saint-Esprit est le lien d'unité que nous adorons avec le Père et le Fils ; c'est Lui qui nous rassemblera.
Troisième défi à souligner, c’est bien le témoignage commun dans un monde divisé. Dans un monde déchiré par les guerres, les haines, les injustices, l'Église doit être «signe de paix et instrument de réconciliation». Léon XIV évoque le témoignage des martyrs chrétiens de toutes les confessions: «leur mémoire nous unit et nous incite à être des témoins et des artisans de paix». L'œcuménisme n'est donc pas un luxe théologique, mais une exigence missionnaire: «Afin que le monde croie» (Jn 17, 21).
En ce qui concerne l’enjeu de l’œcuménisme aujourd’hui, je parlerai d’un enjeu fondamental pour les chrétiens : qui est l’unité dans la diversité légitime. Le Saint-Père propose un modèle trinitaire: «Unité dans la Trinité, Trinité dans l'Unité. L'unité sans multiplicité est tyrannie, la multiplicité sans unité est désagrégation». Cela s’impose à nous. L'œcuménisme ne vise ni un retour à l'état antérieur aux divisions, ni une simple reconnaissance du statu quo, mais un chemin vers l'avenir où les différentes traditions s'enrichissent mutuellement sans perdre leur identité propre.
De par cette lettre apostolique, quel est l’enjeu du voyage apostolique du Pape Léon XIV en Turquie du 27 au 30 novembre ?
Le voyage du Saint-Père vient à point nommé et il rentre dans la dynamique de sa lettre apostolique. Pour ceux qui ont déjà lu cette lettre apostolique, cet enjeu le Pape le souligne explicitement en introduction. Il dit, je cite, «Alors que je m'apprête à effectuer mon voyage apostolique en Turquie, je souhaite par cette lettre encourager dans toute l'Église un élan renouvelé dans la profession de foi». Fin de citation.
Ce voyage revêt une triple signification à partir de la lettre apostolique. En premier lieu, c’est un pèlerinage aux sources. La Turquie actuelle correspond à l'Asie Mineure antique, berceau de tant de conciles œcuméniques. Nicée (aujourd'hui İznik) et Constantinople (Istanbul) sont en Turquie . C'est là que s'est forgé le Credo que nous proclamons chaque dimanche. En se rendant sur ces lieux saints, le Souverain pontife fait mémoire des Pères de l'Église - saint Athanase, les Cappadociens, saint Jean Chrysostome - qui ont défendu la foi contre l'arianisme.
En outre, ce voyage apostolique relève d’un geste œcuménique majeur. La Turquie abrite le Patriarcat œcuménique de Constantinople, dont le siège est à Istanbul (ancienne Constantinople). Le patriarche Bartholomée Iᵉʳ est considéré comme le «premier entre égaux» dans l'Orthodoxie. En se rendant en Turquie, le Souverain pontife manifeste concrètement son engagement pour l'unité avec les Églises orthodoxes. C'est un geste de fraternité et de dialogue, dans la ligne des rencontres historiques entre Paul VI et Athénagoras (1964), et Jean-Paul II et Bartholomée (1979). Je pense que le Pape Léon XIV est dans cette dynamique.
Enfin, le troisième enjeu à mes yeux, c’est un témoignage de paix. En effet, la Turquie est un pays majoritairement musulman où subsistent de petites communautés chrétiennes. En visitant ce pays, le Souverain pontife témoigne que l'Église catholique souhaite dialoguer avec l'Islam dans le respect mutuel, et soutenir les chrétiens d'Orient souvent persécutés. La lettre insiste sur le fait que «dans un monde divisé et déchiré par nombre de conflits, l'unique Communauté chrétienne universelle peut être un signe de paix et un instrument de réconciliation». Le voyage en Turquie s'inscrit pleinement dans cette vision.
Pour terminer quel est le message qui découle de la publication de la lettre apostolique In unitate fidei, du voyage du Pape en Turquie et le 1700e anniversaire du Concile de Nicée en cette fin Année jubilaire dédiée à l’espérance ?
J’estime que le message tient en trois mots: unité, espérance, mission.
L’unité parce que le Credo de Nicée-Constantinople unit tous les chrétiens par-delà les divisions. Le voyage en Turquie auprès du patriarcat œcuménique manifeste cette volonté de pleine communion. «Ce qui nous unit est bien plus grand que ce qui nous divise». L'œcuménisme n'est pas option, mais exigence évangélique: «Afin que le monde croie» (Jn 17, 21).
Deuxième message fort, c’est l’espérance. L’Année jubilaire 2025 se clôt sur cette affirmation massive: notre espérance s'enracine dans le Christ mort et ressuscité. Nicée l'a proclamé contre Arius, si le Christ n'est pas vraiment Dieu, il ne peut nous sauver. Mais Il l'est ! Donc «l'espérance ne déçoit pas» (Rm 5, 5). Dans un monde marqué par les guerres, les catastrophes, les angoisses, l'Église annonce que Dieu n'est pas loin - Il «est descendu du ciel pour notre salut». Cette espérance n'est pas évasion, mais force de transformation.
Le dernier mot de ce message, c’est la mission. Le Pape nous envoie. La foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu, doit se traduire en actes concrets. Respecter la création («maison commune de l'humanité»), partager équitablement les biens de la terre, accueillir les pauvres («ce que vous avez fait au plus petit, c'est à moi que vous l'avez fait»), aimer les ennemis, être artisans de paix. Dans un monde divisé, l'Église doit être «signe de paix et instrument de réconciliation».
De tout ce qui précède comme message, final nous appelle à retourner aux sources de notre foi commune (Nicée), marchons ensemble vers la pleine unité (œcuménisme), et témoignons au monde de l'espérance qui ne déçoit jamais. Le 1700ᵉ anniversaire de Nicée n'est pas commémoration nostalgique, mais appel prophétique. Le Pape termine par une prière à l'Esprit Saint: «Viens et donne-nous de goûter à la beauté de la communion. Indique-nous les chemins à suivre, afin que nous redevenions ce que nous sommes dans le Christ: une seule chose, afin que le monde croie». Voilà notre tâche. Voilà notre espérance.
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