Pour l’Ordre de Malte Liban, la visite du Pape est un message de soutien et d’espérance
Isabella H. de Carvalho – Cité du Vatican
Les frappes militaires israéliennes de mardi et mercredi dans le sud du Liban auraient fait au moins 14 morts et plusieurs blessés, dont des élèves qui voyageaient dans un bus scolaire. Malgré un récent cessez-le-feu, la population du pays continue de souffrir du poids du conflit et de plusieurs autres crises qui ont éclaté au cours des dernières décennies. De l'arrivée de plus d'un million de réfugiés syriens à la catastrophe économique de 2019, en passant par la pandémie de COVID-19 et l'explosion du port de Beyrouth en 2020, ces problèmes continuent d'avoir un impact important sur la nation aujourd'hui.
Alors que le Liban se prépare à accueillir Léon XIV du 30 novembre au 2 décembre lors de la deuxième étape de sa première visite apostolique à l'étranger, Oumayma Farah, directrice du développement et de la communication de l'Ordre de Malte au Liban expose la situation humanitaire désastreuse qui n'a guère connu d'amélioration ces dernières années et souligne l'espérance que suscite la visite du Pape.
Avec un programme riche en événements importants, elle estime que sa présence témoignera de sa proximité avec ceux qui ont souffert et encouragera la population, en particulier les communautés chrétiennes et les jeunes, à faire preuve de résilience et à vouloir œuvrer pour un avenir meilleur.
Le Liban a connu plusieurs crises au cours des dernières décennies, et aujourd'hui encore, la situation reste fragile. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation humanitaire sur le terrain?
La situation humanitaire ne s'est pas beaucoup améliorée au cours des six dernières années, depuis la crise socio-économique et les multiples crises qui ont suivi après 2019. Il y a eu l'explosion de Beyrouth en 2020 et le conflit avec Israël en 2024, tout cela dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et de la crise des réfugiés syriens au Liban.
Aujourd'hui, la situation n'a pas évolué; au contraire, elle s'est aggravée en raison de la dernière guerre, qui aura des répercussions pendant des décennies. Les destructions ont été nombreuses, que ce soit dans la banlieue de Beyrouth, dans le sud du pays ou dans la région de la Bekaa. Cela a des répercussions sur le reste du pays et sur la situation économique dans son ensemble. Plus de 100 000 personnes ont également été déplacées et ne peuvent pas retourner chez elles en raison du conflit.
Plus inquiétant encore, les fonds internationaux destinés à aider le Liban ont également diminué. Par exemple, le HCR a réduit son aide aux réfugiés syriens dans le pays.
Un cessez-le-feu a été signé entre Israël et le Liban il y a un an, en novembre 2024, mais les tensions restent vives et plusieurs violations ont été commises. La situation a-t-elle changé au cours de l'année écoulée pour la population libanaise?
La situation n'a pas évolué car cette guerre est survenue au milieu de toutes les crises qui s'étaient accumulées au cours des six dernières années. Je dirais même au cours des 50 dernières années, car depuis le début de la guerre civile au Liban [qui a duré de 1975 à 1990, ndlr], nous avons connu plusieurs conflits et crises.
Il existe toujours des tensions entre le Hezbollah et Israël. Beaucoup de personnes ne peuvent pas retourner chez elles, en particulier à la frontière sud. Depuis la signature du cessez-le-feu, plus de 100 violations auraient été commises, en particulier dans le Sud. L'Ordre de Malte, par exemple, dispose d'un centre dans le village de Yaroun, situé juste à la frontière sud, auquel nous n'avons plus accès et nous ne savons pas quand nous pourrons à nouveau nous y rendre.
Au moment où nous parlons, j'entends les drones et toute la population vit dans un état de stress et de peur permanents, ne sachant pas quand la prochaine escalade aura lieu. Tout le monde a ses valises prêtes pour fuir au cas où le conflit reprendrait.
La situation s'est clairement détériorée sur le plan humanitaire et socio-économique, mais nous gardons espoir, compte tenu des changements observés à l'échelle régionale et nationale. Nous avons désormais un nouveau président de la République et un nouveau gouvernement. Nous avons également constaté des changements dans la Syrie voisine.
Quelles ont été les réactions à l'annonce de la visite de Léon XIV?
L'annonce de la visite de Léon XIV est sans aucun doute un message d'espérance pour toute la région, car n'oublions pas que le Liban, ce petit pays, est aux portes du Proche-Orient. Il est un pont entre l'Orient et l'Occident, entre la culture européenne et la culture du Proche-orient.
Les chrétiens, que ce soit en Syrie, en Jordanie, en Irak, en Israël ou en Palestine, sont de moins en moins nombreux. Même s'ils sont moins nombreux au Liban, ils représentent encore une part importante de la population et ils sont libres. Ils ont un rôle important à jouer en tant que pilier pour tous les chrétiens de Terre Sainte, la terre du Christ, où il a prêché, où sa mère l'a attendu à Maghdouché [sanctuaire marial dans le sud du Liban, où Marie aurait attendu Jésus pendant qu'il était à Tyr et à Sidon, ndlr].
La visite de Léon XIV, en particulier parce qu'il s'agit de son premier voyage international et qu'il a choisi de venir au Liban, est un message de soutien très fort pour ces communautés.
Quel impact pensez-vous que ce voyage pourrait avoir sur la promotion de la paix et de la stabilité au Liban et dans toute la région?
Ce voyage est également un message de stabilité pour le Liban et les populations de la région ; c'est un message de courage et de renforcement de la foi. Je pense que sa visite fait également écho à celle de Jean-Paul II lorsqu'il a déclaré que le Liban n'était pas une nation, mais un message pour le monde.
Si vous regardez le programme du voyage, chaque événement a une signification forte. Par exemple, la rencontre œcuménique et interreligieuse [qui aura lieu le 1er décembre sur la place des Martyrs à Beyrouth, ndlr] fait écho à la Déclaration sur la fraternité humaine signée par le défunt Pape François et le grand imam d'Al-Azhar. Le Liban est une terre où cette coexistence n'est pas seulement théorique, mais où elle est vécue au quotidien par la population. L'Ordre de Malte, par exemple, travaille main dans la main avec toutes les confessions religieuses.
Le Pape priera également sur le site de l'explosion du port de Beyrouth en 2020. Quelle est selon vous la signification de cet événement?
Je pense que c'est un événement très important et une étape forte. D'autant plus qu'il s'agira d'une prière silencieuse. Face à la souffrance, les mots manquent. Ce sera un moment de prière pour les familles qui ont perdu des êtres chers, mais aussi pour la justice, car n'oublions pas qu'aujourd'hui, près de six ans après l'explosion, justice n'a toujours pas été rendue aux personnes qui ont tout perdu.
Un autre moment important sera sa rencontre avec les jeunes à Bkerke. Ces six dernières années, les jeunes ont émigré en raison du manque d'opportunités. Le Pape leur adressera un message d'espérance et de résilience. Ce sera un appel à croire en ce pays et à y rester pour construire une véritable nation.
Son arrêt à l'hôpital de La Croix à Jal Ed Dib sera également significatif. Il visitera le cinquième étage, que nous appelons le «Pavillon Saint-Dominique». Nous y travaillons en étroite collaboration avec les Sœurs de la Croix et les autres bénévoles. Les personnes qui y vivent sont handicapées physiquement et mentalement, ce qui fait de certaines d'elles des personnes marginalisées de la société. Souvent, elles ont été abandonnées même par leur propre famille. Elles sont prises en charge par les sœurs.
Et, bien sûr, son arrêt à la tombe de saint Charbel Maklouf sera important, car il s'agit d'un saint connu internationalement, et pas seulement par les Libanais. Le Pape place son sanctuaire sur la carte internationale, ce qui est très significatif.
Quel type d'action l'Ordre de Malte a-t-il mené pour aider la population à faire face aux différentes crises qui touchent le pays?
L'Ordre de Malte est présent au Liban depuis 60 ans et très actif dans les régions et zones reculées depuis les années 1980. Nous avons considérablement renforcé notre action depuis le début des crises en 2019. Aujourd'hui, nous avons 60 projets et programmes sur tout le territoire dans trois secteurs principaux. Le premier est celui des soins de santé primaires; nous sommes leaders en matière de consultations subventionnées et nous couvrons environ 20 % des besoins.
Les gens n'ont pas les moyens de se rendre dans des cliniques privées et, comme l'État n'offre pas ce type de services, ils se tournent vers la société civile, qui joue un rôle important dans l'accompagnement de la population. Aujourd'hui, 70 à 80 % de la population est tombée dans la pauvreté, et la plupart d'entre eux appartiennent à la classe moyenne. Nous sommes aux côtés des populations vulnérables, car nous sommes apolitiques et ouverts à tous. Nous travaillons selon notre devise: «Je ne vous demande pas votre race, votre couleur ou votre religion, mais dites-moi quelle est votre souffrance».
Nous sommes également présents dans le secteur de l'aide sociale. Nous aidons les personnes âgées, les enfants, mais aussi les plus marginalisés, c'est-à-dire les personnes handicapées. Enfin, au cours des quatre dernières années, nous nous sommes également lancés dans le secteur de la sécurité alimentaire et de l'agriculture. Nous disposons de sept centres à travers le pays.
Nous aidons les petits agriculteurs non seulement à subvenir à leurs besoins alimentaires, à assurer leur subsistance et à devenir économiquement autonomes, mais aussi à s'ancrer dans leur terre. C'est ce qui importe dans le travail de l'Ordre de Malte: il ne s'agit pas seulement d'une réponse humanitaire ou de développement, mais aussi d'une manière de protéger ce que saint Jean-Paul II a dit, à savoir que le Liban est un message pour le monde. Nous essayons de donner aux gens la possibilité de rester sur leurs terres.
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