RDC: l’évêque d’Uvira alerte sur la faim des déplacés et le risque de «balkanisation»
Giada Aquilino – Cité du Vatican
Des milliers de citoyens congolais trouvent refuge au Burundi à la suite des dernières violences perpétrées par les rebelles du M23 dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. Selon l’Unicef, les récentes offensives ont entraîné le déplacement d’au moins 500 000 personnes, dont 100 000 enfants, aggravant une crise humanitaire déjà dramatique dans une région marquée par plus de trente ans d’instabilité armée.
«Les informations qui nous parviennent de Bujumbura, de Rumonge et des environs font état de conditions de vie extrêmement précaires», témoigne auprès des médias du Vatican Mgr Sébastien Joseph Muyengo Mulombe, évêque d’Uvira, ville située sur les rives du lac Tanganyika, à la frontière avec le Burundi. Des milliers de Congolais sont entassés dans des camps, des stades ou à ciel ouvert, «exposés aux pluies, sans couvertures, sans nourriture, sans médicaments», alerte le prélat.
Une accalmie fragile après l’annonce du retrait du M23
Les rebelles du M23, engagés dans des combats contre l’armée congolaise et soutenus, selon l’ONU et plusieurs rapports internationaux, par le Rwanda, ce que Kigali dément, ont annoncé leur intention de se retirer d’Uvira «à la demande des médiateurs américains». Toutefois, aucune date précise n’a été communiquée, et selon plusieurs sources, des miliciens étaient encore présents dans la ville, occupant des points stratégiques.
«À Uvira, une calme apparent règne», explique l’évêque. «On n’entend plus les tirs comme auparavant et les violences ont diminué, mais la population reste profondément méfiante», notamment à la lumière des récents événements survenus à Goma, Bukavu et Kamanyola.
Les accords de Washington et les accusations contre Kigali
Vendredi dernier, l’ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies a dénoncé «l’ampleur et la sophistication» de l’implication rwandaise dans l’est congolais, évoquant le déploiement de 5 000 à 7 000 soldats. Le secrétaire d’État américain a, de son côté, qualifié de «violation manifeste» l’attitude du Rwanda vis-à-vis des accords de paix signés le 4 décembre à Washington par les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame, sous l’égide du président américain. Si l’annonce du retrait du M23 constitue un signe positif, elle soulève de nombreuses interrogations, souligne Mgr Muyengo Mulombe: concerne-t-elle uniquement Uvira ou aussi les zones environnantes? Qu’en est-il des villes déjà tombées, comme Bukavu, Goma, Misisi ou Rutshuru? «Et si cette décision pouvait être imposée aujourd’hui, pourquoi ne l’a-t-elle pas été plus tôt, afin d’éviter tant de victimes ?», s’interroge-t-il.
Pour une partie de la population locale, cette annonce s’inscrirait dans une stratégie visant à apaiser la communauté internationale, tandis que se profilerait le risque d’une fragmentation du pays. Une «balkanisation» qui, selon l’évêque, ouvrirait la voie à la spoliation des richesses naturelles de la RDC, or, coltan, minerais stratégiques, par des acteurs extérieurs «qui prétendent venir libérer le pays, alors qu’ils convoitent ses terres et ses ressources».
L’appel de l’Église à un dialogue inclusif
Face à l’urgence humanitaire, alors que l’ONU recensait déjà 4,6 millions de déplacés internes dans le Nord et le Sud-Kivu début 2025, l’Église locale tente de répondre. «Nous avons élaboré un projet d’urgence que nous avons présenté à des partenaires en France, en Italie et à notre gouvernement», explique Mgr Muyengo Mulombe. En attendant, «des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades continuent de souffrir, et parfois de mourir de faim, de soif, de froid ou de maladie».
Dimanche, lors de l’Angélus, le pape Léon XIV a exprimé sa «vive préoccupation» face à la reprise des violences, appelant à la cessation immédiate des hostilités et à un dialogue constructif dans le respect des processus de paix en cours. Un message relayé à Uvira par la radio diocésaine Notre-Dame du Tanganyika et les réseaux sociaux. Un dialogue inclusif, soutenu par les évêques de la CENCO et de l’ECC, demeure selon Mgr Muyengo Mulombe la seule voie capable de préserver l’unité du pays et de garantir une paix durable, au service de la dignité et de l’avenir du peuple congolais.
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