Le JRS dénonce l'approche punitive de la politique migratoire grecque
Marie Duhamel – Cité du Vatican
Au cours de la première moitié de l'année, le nombre d'entrées irrégulières sur le territoire européen a chuté de 20% selon l'agence européenne de frontières, Frontex. Le nombre des demandes d'asiles enregistrées dans les pays de l'Union européenne et ses voisins a lui aussi reculé de 23% par rapport à la même période l'an dernier. Et pourtant, l'Europe subit une pression très forte pour durcir sa politique migratoire. En Grèce, pays qui connait une hausse du nombre d’arrivées sur ses côtes, le gouvernement vient d'adopter un texte criminalisant les migrants.
Après la suspension temporaire de l’accès à l’asile pour les personnes arrivant en Crète en provenance de Libye, le gouvernement grec a en effet voté début septembre une loi prévoyant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour les étrangers restés sur le territoire national après le rejet de leur demande de régularisation. Le texte prévoit aussi des «retours forcés» vers les pays d’origine ou des «pays tiers».
Mariza Koronioti, vous êtes chargée de plaidoyer au Service jésuite des réfugiés Europe. Quelles inquiétudes nourrissez-vous après l’adoption de cette nouvelle loi migratoire? Pourquoi pose-t-elle problème?
Nous avons toujours reconnu et reconnaissons le droit des États à la souveraineté nationale et à la protection des frontières, mais nous croyons fermement que cela doit toujours se faire dans le respect des droits de l'homme, de la dignité humaine et le respect de la loi.
Concernant le texte adopté en Grèce, nous pensons comme nombre d’acteurs du monde juridique et de la société civile, qu’il viole directement le droit européen, les droits de l’homme et le droit international, y compris le droit d'accès à l'asile. Nous estimons au JRS que cette loi repose sur une approche punitive, avec des bases racistes, qui pénalise la simple existence des migrants et des réfugiés sur le territoire du pays, car elle criminalise les personnes avant même qu'elles ne mettent le pied sur le territoire.
Cette loi permet de renvoyer des personnes dans des pays qui ne sont pas leur pays d'origine; des pays avec lesquels elles n'ont aucun lien, où il n'y aura pour les accueillir que des centres de retour et de détention, et il sera extrêmement difficile de surveiller sur place d’éventuelles violations des droits de l'homme ou la qualité des conditions de détention. Il faut d’ailleurs préciser que cette loi a été adoptée sur la base d’une nouvelle proposition -en cours d’examen- de la Commission européenne en matière de retour, ce qui n’est pas sans poser problème.
Compte-tenu des retards actuels dans les procédures judiciaires ou de la surpopulation carcérale, pensez-vous que les dispositions de cette loi sont applicables?
Concernant la capacité des prisons, depuis 2024, celle-ci a en réalité été augmentée de 10 % suite à l'adoption d'une nouvelle loi pénale. La Grèce a cependant été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour les conditions de détention des prisonniers, quelle que soit la raison de leur incarcération. Il est également important de mentionner que la capacité des camps actuellement en Grèce s'élève à 50 %. Cela contredit donc directement le discours selon lequel les camps sont pleins.
Alors, les dispositions de la loi seront-elles appliquées? Très probablement, je pense que non en raison de leur complexité. La conception du texte est mauvaise, il y a des absences de base juridique et beaucoup d'obstacles administratifs et juridique ont été mis en place.
Prenons un exemple: dans cette loi, les délais accordés aux personnes pour contester une décision ont été considérablement réduits. Cela constitue une menace directe pour le droit à un recours effectif, et c’est illégal. La loi va aussi considérablement allonger le recours à la détention administrative à l’encontre des migrants. On passe de 18 mois à 24 mois, voire plus dans certains cas. Cela ne leur permet pas de jouir de leurs droits fondamentaux.
Quant aux autorités, elles n'ont pas les capacités suffisantes pour traiter ces cas. Ils ne le seront donc pas. La loi sera donc inefficace.
Le ministre grec de la Migration a salué l'adoption de mesures extrêmement répressives. La dissuasion fonctionne-t-elle pour ceux qui fuient la réalité de leur pays d'origine?
Il n'y a aucune preuve établissant que «plus de détention conduira à plus de retours», ou que «plus de détention diminue la migration irrégulière». Il n’y a aucun lien direct entre le recours accru à la détention, ce qui est l'objet de cette loi, et la dissuasion de l'immigration clandestine.
Ce genre de discours est largement utilisé par les autorités afin de séduire, disons, un public conservateur d'extrême-droite dans le but de gagner des voix. Mais il y a une déformation de la réalité pour y parvenir. Donc, je ne pense pas que ce soit le reflet de la vérité mais d’une volonté politique.
Je reviens sur les retours forcés. Le Conseil européen a mis en garde les pays qui souhaitent envoyer ceux qui ne peuvent pas obtenir l'asile dans des «pays tiers». Pourquoi?
Au JRS, nous essayons toujours d'accompagner et de servir les gens, ce qui implique de défendre leurs droits. Mais comment le faire dans ces «pays tiers»? Nous craignons de ne plus avoir de contact avec les migrants envoyés sur place. Là, ils n’auront aucune famille. Ils ne savent rien de ces pays, où le droit européen ne sera pas ou pas appliqué. Dans ces pays, le droit international est-il correctement et suffisamment mis en œuvre? En réalité, les acteurs et les institutions ne disposeront pas d'instruments et d'outils suffisants pour surveiller les violations des droits de l'homme et les infractions au droit européen ou international.
Alors que les États membres de l’Union européenne discutent en interne de cette proposition de la Commission européenne de renvoyer les migrants vers des pays-tiers, au JRS, nous continuons à faire notre travail et à essayer de dialoguer avec les acteurs afin de leur montrer ce que nous savons du terrain.
En Grèce, il semble que cette loi supprime du registre officiel les ONG qui ne seraient pas alignées sur la politique gouvernementale?
Oui, en effet. En Grèce, il existe un registre des ONG, où différentes organisations doivent être inscrites afin de pouvoir mener à bien leurs tâches et leur travail. À mon avis, il s'agit là d'une attaque directe contre la société civile, qui a pourtant une responsabilité. Elle surveille la légalité et joue un rôle d'assistance. Cela implique qu'elles seront souvent en désaccord avec les pratiques éthiques ou les motivations de ce gouvernement. C’est normal et découle de leur rôle. Je vois dans cette attaque contre la société civile, une attaque directe contre la démocratie et l'État de droit.
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