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Le Bel Espoir: de la terre à la mer, sortir de soi pour rencontrer l’autre

La dernière étape de l’odyssée MED25 Le Bel Espoir, la traversée de Naples à Marseille, en passant par Rome, se concentre sur le thème de l’édification de la paix. Par la rencontre et la connaissance mutuelle plutôt que par des logiques de confrontation et de défense d’intérêts particuliers, les 25 jeunes à bord, venant de tous horizons et de toutes religions, incarnent la preuve vivante que le dialogue et la paix sont possibles. Reportage.

Delphine Allaire – Naples, Italie

«Je voudrais tant étudier ici!». Face à l’époustouflante vue depuis la faculté pontificale de théologie d’Italie méridionale sur la baie de Naples et le Vésuve, les mots manquent à certains. La vingtaine de jeunes de la huitième et ultime étape du Bel Espoir est arrivée à Naples et vient de passer sa première nuit à quai à bord du trois-mâts amarré à la capitainerie, qu’ils ont tous découvert «avec beaucoup d’émotion». Après avoir arpenté la cité parthénopéenne, ses églises, ses musées et ses œuvres sociales, la matinée est académique sur la colline idyllique du Pausilippe. En ce lieu, il y a six ans, le Pape François délivrait un discours fondateur sur la théologie de la Méditerranée ayant largement inspiré le projet de l’odyssée. Un colloque sur la paix occupe ce lundi matin les jeunes méditerranéens de 20 à 35 ans, sélectionnés pour représenter les cinq rives, de diverses religions. Pour cette étape, l’Albanie, l’Espagne, la France, l’Italie, la Bosnie, la Palestine, l’Égypte, la Libye et l’Algérie sont, entre autres, représentées. «Il y a tellement de différences entre nous mais nous avons l’impression de nous connaitre déjà, c’est très spécial. On chante, on parle de tout. On a tous l’impression d’avoir déjà vécu sur ce bateau avec ces mêmes personnes», relève Bouchra, jeune Algérienne, médecin exerçant désormais en Espagne. Elle est, sur le bateau, l’une des rares à avoir déjà participé aux rencontres méditerranéennes MED23 de Marseille précédant la venue du Pape François. À l’époque déjà, l’idée d’un bateau creusait son sillon parmi les jeunes. Elle s’est matérialisée en cette année du jubilé, pensée comme un pèlerinage itinérant et décentré, bien que les jeunes à bord soient de toutes religions.

 

Un outil de transformation intérieure

Aurore, responsable de l’équipe pour l'étape, insiste d’ailleurs: «Ce n’est pas une rencontre interreligieuse, mais interpersonnelle. La rencontre de l’autre dans les différences». Non sans succès, au bout de trois jours, des liens profonds se sont tissés. Le milieu de la navigation n’y est pas étranger. «Quand on se retrouve dans un équipage qu'on ne connaît pas, il y a un petit temps d'ajustement pour trouver sa place, qui n'est pas forcément, sur le bateau, la même que sur terre. Chaque chose a sa place. Il y a des équipées pour ranger la nourriture, il y a différentes façons de fonctionner. C'est un apprentissage intérieur, sortir de soi pour trouver sa place», poursuit la jeune Française, assurant que tout le groupe est aussi à la rencontre de l’instabilité. «Autant dans le bateau, sur la mer avec le vent, qu'en soi-même. Nous sortons de notre confort, des habitudes et on découvre une autre partie de soi qui permet du coup d'aller à la rencontre de l'autre.» «Un chaos créateur», résume Dorotea, Albanaise de 22 ans, plaisantant sur les conditions spartiates à bord. Trois salles de bain pour 30 personnes.

Un travail de rédaction et de réflexion

Malgré les nombreux temps informels permettant de créer des relations, des échanges, des rires, des différences, il n’est pas question de colonie de vacances. L’expérience en mer est pensée et intériorisée. En petite équipe de six ou sept, chacun est soumis à des questions sur diverses thématiques qui serviront à une première synthèse. La même chose doit se produire sur un plan plus personnel, sous forme de témoignage. De ces morceaux de vie jetés sur papier mouillé, un livre blanc de la Méditerranée sera composé et consigné au Pape.

Quitterie, Marseillaise, déjà chef d’équipe de jeunes à MED23, compte beaucoup pour cela sur la contemplation, ballotée par les flots. «La mer ouvre le cœur», glisse-t-elle, sans éluder des considérations plus terrestres: «Dans le bateau, quelque chose se crée d’un même endroit de service commun. Ce dimanche, nous avons pu servir à Caritas Naples pour des pauvres. Ils servent 300 repas par jour! C’est un beau lien. J’ai hâte qu’aussi sur le bateau chacun doive préparer la cuisine, ranger, faire le ménage. Cela va créer quelque chose.»

Se sentir chez soi

L’espace réduit du bateau, Amara, Ivoirien de Naples depuis dix ans, le connait bien. Pendant la pandémie de Covid, ce guide polyglotte dans les catacombes napolitaines avait déjà pris la mer pendant trois mois sur les bateaux quarantaine avec la Croix-Rouge au service des personnes migrantes. Le jeune musulman est ravi de ce groupe où «tout le monde a le même esprit d’ouverture et d’accueil avec une seule vision», celle de la paix. «La mer est pour tout le monde, Dieu a créé cet environnement pour nous unir», rappelle-t-il, remerciant les Napolitains pour leurs portes ouvertes. «C’est une ville où l’on se sent de suite chez soi.» Et pour cause, son trafic rappelle Le Caire à Jihad, jeune étudiante à l’université d’Al-Azhar et à l’Idéo des Dominicains, également de l’aventure, pour aller ensuite enseigner son expérience aux étudiants dès son retour. Naples rappelle bien sûr Marseille au trio phocéen du groupe. Parmi eux, Remy travaille sur un chantier naval d’insertion sociale sur le Vieux Port. Il a envoyé plusieurs ouvriers des chantiers sur les autres étapes du Bel Espoir. «Ils sont revenus avec de l'eau salée et beaucoup de joie dans le cœur», jubile-t-il.

Missionnaires en sortie

La joie et l’amour sont devenus un acte militant de résistance pour cette équipée. C’est l’une des raisons qui a poussé Cristina, jeune chrétienne palestinienne de Ramallah, à accepter le projet. Une décision difficile alors que son pays était encore en guerre et que les siens ont tant perdu ces dernières années. Elle a finalement répondu à l’appel d’une religieuse de son village où elle est en charge de la pastorale des jeunes. Et dit oui, non sans larmes, à l’aventure. Les regards bienveillants et les câlins se succèdent. Les discussions sur les moyens de bâtir la paix aussi. «Respect et acceptation de l’autre», répond rapidement Cristina. Cette odyssée actuellement en route pour Rome est résolument une école de la vie, une école de théologie en sortie, loin des tables et des chaises.

Pilote du projet, le père Alexis Leproux est convaincu de son caractère missionnaire: «Il me semble essentiel de retrouver la méthode de Jésus, qui est de mettre des disciples sur une barque et de leur dire d'aller de ville en ville, de village en village. Cette école de la vie est parfois plus éloquente que beaucoup des livres que nous étudions dans les facultés et les séminaires.»

Reportage à Naples avec le Bel Espoir - MED25

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14 octobre 2025, 10:41