Recherche

“Post-carbone”, le livre-entretien entre Gaël Giraud et Carlo Petrini (Éditions de l'Atelier). “Post-carbone”, le livre-entretien entre Gaël Giraud et Carlo Petrini (Éditions de l'Atelier). 

«On ingère l’équivalent plastique d’une carte de crédit par semaine»

Post-Carbone, c’est le titre du livre-entretien entre Gaël Giraud, jésuite et économiste, et Carlo Petrini, promoteur du mouvement international Slow food en faveur d’une alimentation saine et durable. Les deux hommes dressent un constat accablant des dérives du système économique dominant.

Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

Changer les codes, c’est ce que propose le jésuite et économiste Gael Giraud dans un livre-entretien avec Carlo Petrini, initiateur en Italie du mouvement Slow Food pour une écogastronomie et une alter consommation. Ensemble, ils dénoncent les limites du modèle économique dominant et, dans le cadre de l’urgence de la transition énergétique et écologique, ils souhaitent que des biens communs soient identifiés, définis afin de les protéger. Ils seraient encadrés juridiquement afin d’être réellement disponibles et accessibles à tous. Il en va, selon eux, de la survie de l’humanité. Post-Carbone est un ouvrage qui propose des pistes de réflexion pour repenser profondément l'économie et un appel à la société pour construire un avenir qui ne soit plus fondé sur l'exploitation des énergies fossiles et la croissance à tout prix.

Entretien avec le père Gaël Giraud

Vous commencez votre entretien par décrire un abîme écologique, le premier chapitre de Post-Carbone s’intitulant “La fin d’un monde”. Avons-nous atteint un point de non-retour?

Le fait que dans la nourriture que nous ingérons, il y ait tellement de plastique que chacun d'entre nous avale l'équivalent d'une carte de crédit de plastique par semaine, nous empoisonne. Le fait que nous allions à la catastrophe écologique est aussi lié à un système économique qu'il faut remettre sur le droit chemin. Nous devons nous interroger sur les racines anthropologiques, spirituelles, culturelles, et politiques de cette sortie de route gravissime. Lorsqu’on sait que l'Italie va manquer d'eau au niveau national dans la prochaine décennie, nous comprenons que nous ne sommes pas devant un petit enjeu. C'est un enjeu de sécurité alimentaire et de sécurité tout court, sécurité nationale pour un pays comme l'Italie. Il nous faut réfléchir à la manière dont on pourrait organiser les communs. Par exemple, faire de l'eau un bien commun, l'inscrire dans la Constitution italienne ou française. C'est une piste, comme il y en a beaucoup d'autres.

Vous dressez un constat assez sombre de la situation actuelle. Mais ce système économique qui devait tout régler, finalement, a besoin de quelques règles…

Oui, absolument. Si vous voulez, la toute-puissance des marchés financiers qui seraient bienveillants, omniscients, omnipotents, c'est du délire et de la trique pour reprendre des théories plutôt bibliques. Il est temps de réguler les marchés financiers, de remettre de l'impôt là où il n'y en a plus. Nous marchons sur la tête. Nous imposons le travail et nous n'imposons pas les matières premières, les ressources naturelles. Alors que, ce qui est le plus rare aujourd'hui, ce sont les ressources naturelles, et nous avons beaucoup de chômeurs partout. Il faut redéplacer la fiscalité au bon endroit. Il y a toute une série de réformes et de règles à mettre en œuvre. Ça n'est pas vrai que la main invisible des marchés va tout organiser. Pour nous, c'est exactement le contraire. La main invisible est invisible parce qu'elle n'existe pas.

Favoriser l'expansion des capitaux, en estimant qu’ils allaient apporter plus de justice sociale et d'égalité, cela ne fonctionne pas?

C'est un leurre dramatique. Non seulement les capitaux ne cherchent pas la justice sociale, mais ils cherchent leurs propres intérêts à court terme. Il n'y a pas de réconciliation immédiate entre les intérêts à court terme de certains capitaux financiers et la justice sociale. La justice sociale doit être pour tous, et les capitaux financiers ne sont que de quelques-uns, au service d’intérêts privés particuliers.

Vous évoquez dans cet ouvrage la question des biens communs, et vous venez de citer l’eau en exemple. Mais si l’on regarde la situation mondiale en la matière, l’eau a été privatisée presque partout dans le monde…

Ce que nous disons, c'est qu'il faut mettre des limites à la propriété privée de manière à réaménager des espaces dans lesquels les biens communs peuvent prospérer. Alors, quels sont les biens communs? Ce sont ceux que nous allons décider ensemble d'élire et de protéger comme biens communs. Ça dépend d'un débat démocratique qui pour l'instant n'a pas lieu, mais qu'il faudrait absolument organiser. Nous faisons des propositions. Nous disons que l'eau a vocation à devenir un bien commun pour qu'elle puisse être partagée entre tous. Mais cela concerne aussi l'énergie, la monnaie. La terre pourrait en partie redevenir un bien commun. Mais on pourrait penser aussi au climat, évidemment, au fond des océans, à l'espace qui est en voie de privatisation aujourd'hui et c'est dramatique. Il y a toute une réflexion qui est déjà engagée du côté des juristes, au niveau de la communauté internationale, notamment sur les fonds océaniques. C'est l'enjeu civilisationnel, politique et spirituel du XXIe siècle.

Tout serait donc à repenser dans un système qui a mis l’argent et la finance en son centre. Mais cet argent s’est concentré entre les mains de très peu de personnes qui n'ont pas intérêt à aller dans le sens que vous préconisez.

Oui et non. Ces personnes peuvent aussi comprendre que la catastrophe climatique qui a déjà commencé les concernera aussi. Pour eux, comme pour nous, il n'existe pas de bunker, de forteresse ou d'île isolée déserte dans lesquels ils vont pouvoir se retrancher.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

14 octobre 2025, 07:06