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Un enfant pris en charge par le centre de l'Ordre de Malte. Un enfant pris en charge par le centre de l'Ordre de Malte. 

L'Ukraine et les enfants de la guerre

La guerre qui dure depuis plus de trois ans en Ukraine affecte les enfants au niveau psychologique. Les soins dans ce domaine se développent dans le pays. Reportage auprès de Lesia Yaruchyk et Tatuada Lynar, deux femmes qui ont consacré leur vie au rétablissement psychologique et affectif des plus petits.

Stefan von Kempis - Ivano-Frankivsk et Vorzel (Ukraine)

«Elle vient de Marioupol et a malheureusement vécu l'invasion russe. Elle s'est ensuite enfuie de la ville avec ses parents qui l'ont protégée de leur corps, alors qu'ils étaient pris pour cible pendant leur fuite». Paulina a commencé à avoir des crises d'asthme, une réaction au stress et au danger. Dans la ville d'Ivano-Frankivsk, dans la partie occidentale plus calme de l'Ukraine, ses parents l'ont ensuite emmenée en thérapie chez la psychologue Lesia Yaruchyk, qui raconte: «Cette petite fille a créé un espace sûr au premier étage de notre immeuble pour elle-même et pour les autres enfants qui ont vécu des expériences similaires à la sienne. Au début de la guerre, près de cinquante enfants sont venus ici chercher de l'aide, des enfants qui avaient vécu l'expérience de la fuite de leur ville natale. Paulina a bien réagi aux séances de thérapie et a commencé à se faire des amis.»

En discutant avec Lesia Yaruchyk, dans son bureau à Ivano-Frankivsk, on en apprend beaucoup sur les enfants de la guerre, ces enfants dont la vie a été marquée par l'attaque russe contre l'Ukraine. «Les problèmes les plus courants sont l'anxiété, la peur et l'angoisse. La guerre prive tout le monde d'un sentiment de sécurité élémentaire, et les enfants en souffrent davantage car ils ont moins d'expérience de la vie pour faire face à ces problèmes. Les alertes aux raids aériens, assez courantes dans les villes, affectent leur bien-être. La priorité des séances de thérapie est de rétablir le sentiment de sécurité élémentaire chez ces enfants.»

Des enfants qui dessinent des chars

La thérapie comprend des jeux, des activités manuelles et de la musique. Les plus jeunes dessinent souvent des chars d'assaut ou des roquettes. Mais aussi des maisons, car ils rêvent de sécurité. «En temps de guerre, nous sommes constamment sous tension et ressentons le besoin de nous protéger. Ce ne sont évidemment pas des conditions normales pour le bien-être humain.» Mais la façon dont les adolescents réagissent à ce défi varie considérablement, explique Lesia Yaruchyk. C'est une question tout à fait individuelle.

Activités ludiques pour distraire les enfants
Activités ludiques pour distraire les enfants

«Certains enfants deviennent très silencieux, s'isolent. D'autres peuvent devenir agressifs, surtout dans des situations qui peuvent déclencher ces sentiments chez eux. D'autres encore se réfugient sur Internet et s'y perdent, devenant presque inaccessibles pour leurs parents.» Qu'est-ce qui peut aider dans une telle situation? La régularité, l'établissement d'une routine. «Nos séances, par exemple, ont lieu régulièrement à un jour précis, et commencent et se terminent à une heure précise. Cela transmet un sentiment de normalité, de sécurité. Car le cerveau se dit: si quelque chose se produit régulièrement, alors tout va bien.»

La psychologue pour enfants Lesia Yaruchyk
La psychologue pour enfants Lesia Yaruchyk

Ce qui aide? Le café du matin

Heureusement, il est possible qu'un enfant grandisse dans un environnement émotionnellement stable, même en pleine guerre. Tous ne sont pas traumatisés. «Beaucoup vivent des expériences merveilleuses, avec des amitiés et des relations saines. Le fait d'avoir grandi dans un esprit patriotique permet à beaucoup d'entre eux de s'identifier comme Ukrainiens et comme des personnalités fortes.» Et comment Lesia Yaruchyk, elle-même, fait-elle face à la guerre et à tous les problèmes qui se posent dans son travail? «Bien sûr, on se sent épuisé. Et il n'y a aucune raison de le nier, il est tout à fait normal de se sentir fatigué dans de telles circonstances». Elle-même s'efforce de trouver de la joie dans les choses «essentielles», simples, pour contrebalancer l'horreur qui l'entoure. «Des choses basiques qui vous aident à garder les pieds sur terre, comme le café du matin; sortir sur le balcon et simplement écouter le chant des oiseaux tôt le matin; travailler dans le jardin, enfoncer ses doigts dans la terre; regarder un film en famille. Toutes ces choses créent un sentiment de normalité et redonnent un sentiment de sécurité».

Le bureau du psychologue
Le bureau du psychologue

Quand les Russes sont arrivés à Vorzel

Il y a trois ans, à Vorzel, dans la banlieue de la capitale Kiev, les chars russes sont arrivés et ont pénétré dans un vaste complexe abritant un orphelinat. «Ce furent des jours très difficiles, les Russes ont détruit tout ce que vous voyez aujourd'hui reconstruit», se souvient la directrice Tatuada Lynar. «Il ne restait plus rien de ce que vous voyez aujourd'hui. Tout a été rasé, même le petit terrain de sport.» Les enfants ont pu être évacués à temps vers Borodyanka, tandis que de nombreux civils ont décidé de rester. «Certains de mes employés, qui étaient restés malgré l'occupation, ont été tués. Il y avait des cadavres dans la rue et ce n'était pas une mise en scène, comme le prétendaient les médias russes, mais la réalité. Ce fut un grand choc pour nous lorsque la structure a été reprise. Ce fut un grand choc de voir ce que les Russes avaient fait dans une structure destinée aux enfants».

Tatuada Lynar est médecin de formation. Son approche pédagogique se caractérise par l'amour et la patience qu'elle témoigne à ces orphelins qui ont souvent traversé des moments difficiles, beaucoup d'entre eux ayant assisté à la mort de leurs parents. «Certains enfants, lorsqu'ils arrivent dans notre structure, réagissent de manière agressive envers les psychologues et les médecins. C'est pourquoi chaque cas doit être évalué individuellement, il faut être patient et leur laisser du temps. Lorsque je recrute mon personnel, l'empathie est fondamentale, avant même les qualifications, car pour moi, l'approche émotionnelle est essentielle». Les enfants de Vorzel sont disponibles à l'adoption. «Il y a une liste d'attente de familles en attente d'adoption et une liste d'attente d'enfants à adopter». La décision concernant l'enfant qui ira dans une telle famille est prise par une autorité locale, et la directrice trouve cela très bien «car sinon, j'aurais trop à faire».

La directrice Tatuada Lynar
La directrice Tatuada Lynar

La guerre n'affecte pas seulement les émotions des enfants, mais aussi celles des adultes, souligne encore Tatuada Lynar. «C'est une réalité dans laquelle tout le monde souffre, d'une manière ou d'une autre. Il n'y a personne parmi mon personnel qui n'ait subi de dommages ou de pertes à cause de la guerre. Ils ont perdu leur maison ou un être cher, ou ont un proche qui combat en première ligne. Sur le plan émotionnel, c'est une réalité extrêmement difficile à supporter et à vivre.» Les enfants de l'orphelinat devraient être le moins possible conscients de la situation difficile en Ukraine. «Nous essayons de les distraire autant que possible de cette réalité en organisant des fêtes et des activités ludiques qui leur permettent de vivre dans une sorte de monde parallèle. Il en va de même pour mon personnel. Je leur dis toujours qu'à leur arrivée au travail, ils doivent laisser leurs larmes et leur douleur à la porte, afin de pouvoir s'engager pleinement auprès des enfants qui sont ici.»

Séance avec un enfant
Séance avec un enfant

La guerre sur la peau des plus petits

Le soleil brille, les jeunes orphelins s'amusent dans la toute nouvelle aire de jeux offerte par l'Ordre de Malte. Les photos des enfants adoptés sont accrochées dans le couloir de la maison d'accueil. Selon l'Unicef, selon des données du printemps 2025, plus de 2 500 enfants ont été blessés ou tués en Ukraine depuis l'invasion russe, mais le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé. Un enfant sur cinq a perdu un proche ou un ami. Plus de 1 600 écoles et autres établissements scolaires ont été détruits. En raison de la menace d'attaques aériennes, de nombreux adolescents s'enferment dans leur cave pendant de longues périodes au lieu de jouer ou de se détendre avec leurs camarades. En moyenne, environ deux enfants sur cinq reçoivent un enseignement en ligne ou via un mélange de cours en ligne et en présentiel. «Cela se traduit par un retard scolaire de deux ans en lecture et d'un an en arithmétique». Et puis, c'est l'ONG Save the Children qui dénonce depuis Kiev que le nombre de cas de maltraitance d'enfants en Ukraine a explosé, « comme toujours en temps de guerre », telle est la douloureuse conclusion.

Les enfants de l'orphelinat
Les enfants de l'orphelinat

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21 octobre 2025, 16:55