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Les écoles du Liban en grande souffrance

Ces écoles qui forment les Libanais sont aujourd’hui en grande difficulté. Portées à bout de bras per des enseignants passionnés et des congrégations religieuses, elles font l’impossible pour rester ouvertes. Reportage dans les écoles publiques et privées de Beyrouth.

Jean-Charles Putzolu – Envoyé spécial à Beyrouth, Liban

En dehors de l’activité pastorale, l’éducation, avec le secteur de la santé, sont les deux principales priorités de l’Église du Liban, tout rite confondu. Les écoles sont durement touchées par la crise, que les établissements soient publics ou privés. Dans le public, les fonds manquent pour l’entretien des bâtiments, le paiement des fournitures et les salaires des enseignants. Ces derniers perçoivent de leur ministère de tutelle environ 70 dollars par mois auxquels s’ajoutent des aides sociales qui portent leurs revenus mensuels à 700 dollars en moyenne. «De quoi vivre une semaine», confie Elias Helou, directeur de l’école publique de Bikfaya en périphérie de Beyrouth. Son établissement accueillait plus de 200 enfants avant 2019, date généralement avancée pour définir le début de la crise. Aujourd’hui, les élèves ne sont plus que 86. Malgré les aides financières de l’Unicef, les fonds à dispositions des écoles publiques sont insuffisants. Une telle situation et les grèves à répétition ont poussé les parents qui le peuvent à inscrire leurs enfants dans les écoles privées. D’autres familles ont mis leurs enfants au travail, dès l’âge de 13 ou 14 ans. Le fossé entre les salaires et le coût de la vie est tel que dans une familles les parents ont souvent deux emplois et n’ont pas d’autre choix que d’envoyer leurs enfants travailler pour compléter de trop maigres revenus. Un crève-cœur pour les familles qui rêvaient d’un avenir meilleur pour leurs progénitures.

Elias Halou, directeur de l’école publique de Bikfaya
Elias Halou, directeur de l’école publique de Bikfaya

Les écoles privées sous perfusion

Dans le privé, la situation est à peine meilleure. Mais l’enseignement privé catholique reste considéré comme le fleuron du secteur de l’éducation. Entre 30 et 40% des jeunes Libanais sont scolarisés dans ces établissements. À l’école Notre Dame de la Paix, sœur Hyam Swahiri, fait état des difficultés aussi du secteur privé, mais «mon objectif est de faire en sorte qu’aucun enfant ne quitte l’école à cause des problèmes économiques». L’école, qui accueille les tout petits à la maternelle et les accompagne jusqu’au baccalauréat, lance des appels de fonds réguliers à son réseau de donateurs pour parvenir d’une part à réduire les frais scolaires aux familles en difficulté, maintenir les orphelins dans le cursus scolaire, et payer le salaire des enseignants. À ce sujet, ces derniers reçoivent à peu de choses près le même traitement que leurs collègues du secteur public. «Ici, par tous les moyens, on essaie d’aider les élèves», dont certains, qui se préparent au bac, ne cachent pas leur désir de quitter le pays. «J’èspère qu’ils reviendront pour s’invertir dans le pays», soupire soeur Hyam.

Sœur Hyam Sawiri, directrice de l’école Notre-Dame de la Paix
Sœur Hyam Sawiri, directrice de l’école Notre-Dame de la Paix

La mixité religieuse

Dans les salles de classe de l’école Notre Dame de la Paix, certaines élèves sont voilées. De nombreuses familles musulmanes envoient leurs enfants dans les écoles chrétiennes, assurées de la qualité de l’enseignement qui leur sera donné. «C’est ici qu’ils apprennent à vivre ensemble», commente la religieuse. Elias Helou dresse le même constat. Dans son établissement public, situé dans un quartier chrétien, environ 10% des jeunes sont musulmans et suivent des cours de religion. Il arrive souvent que les musulmans suivent les cours donnés par le prêtre maronite chargé de l’heure de religion hebdomadaire. «Ils sont intéressés», dit-il, «et c’est un bon moyen pour qu’ils apprennent à se connaitre et à se respecter». «C’est précisément pour ça que saint Jean-Paul II a dit que le Liban est plus qu’un pays, c’est un message», ajoute le directeur. «La mission de ce pays est de réussir à faire vivre ensemble toutes les communautés qui le composent», insiste le directeur. En ce sens, la visite de Léon XIV est un réel message d’espérance et de paix.

L’école chaldéenne

Pour les enfants de réfugiés syriens ou irakiens, la situation est un peu plus complexe. La plupart du temps sans papiers en règle, ils ne peuvent accéder au système éducatif. La législation en vigueur pose un certain nombre d’obstacles difficilement surmontables. L’école chaldéenne Saint Thomas de Beyrouth offre une parade pour les enfants de réfugiés irakiens, avec ou sans papiers en règle. «Nous accueillons environ 200 enfants qui ne peuvent pas aller dans d’autres écoles», explique Mgr Rapahael Traboulsi, vicaire général du diocèse chaldéen de Beyrouth. Il précise: «Les écoles publiques prévoient l’enseignement du programme libanais le matin et un enseignement du programme syrien l’après-midi». Il n’y a pas de place pour eux. Sans l’école Saint Thomas, ces enfants resteraient chez eux ou dans la rue. L’établissement a donc adapté un programme spécial qui tiennent compte à la fois de l’enseignement libanais et du programme irakien. Saint Thomas offre un enseignement gratuit, compte tenu du fait que tous les enfants accueillis sont issus de famille en situation de grande précarité.

Mgr Rapahêl Traboulsi, vicaire général du diocèse chaldéen de Beyrouth
Mgr Rapahêl Traboulsi, vicaire général du diocèse chaldéen de Beyrouth

Diaspora et donateurs

Les Libanais de la diaspora envoient de l’argent à leurs proches restés au Liban pour les aider à scolariser les générations futures. De nombreuses organisations s’activent également pour que les écoles puissent continuer à fonctionner. Aide à l’Église en détresse a financé plusieurs projets dans les écoles visitées au cours de ce reportage. Dans l’école publique de Bikfaya, une aide financière permet le versement des salaires des professeurs de religion, que le ministère de l’éduction ne prend pas en charge. À l’école chaldéenne, les dons couvrent les frais de scolarité. A Notre Dame de la Paix, plusieurs organisations caritatives sont intervenues pour des travaux de restructuration après l’explosion du port de Beyourth en 2020. «Les vitres d’une bonne partie de l’école avaient volé en éclat», se souvient soeur Hyam. «Heureusement, c’était les vacances et les enfants n’étaient pas là». Un soulagement pour la religieuse, qui reste effrayée à l’idée qu’un des élèves aurait pu être blessé. Elle souhaiterait aujourd’hui refaire la cour de l’école. «Il y a des trous, et les enfants risquent de tomber», dit-elle montrant du doigt les irrégularités de l’asphalte. Des millions de dollars seraient nécessaires pour remettre sur pied le secteur de l’éducation. Soeur Hyam est un exemple parmi tant d’autres. Cinq ans après l’explosion du port de Beyrouth, quelques signes d’espérance apparaissent. Des réformes depuis longtemps attendues sont enfin amorcées. Une lutte structurelle contre la corruption reste nécessaire. Le Liban se relève lentement. Il lui faudra du temps. Et la paix.

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28 novembre 2025, 21:13