60 ans de Nostra Aetate, «la graine d’espérance est devenue un arbre»
Myriam Sandouno – Cité du Vatican
Dans l’immense salle Paul VI du Vatican, dans une atmosphère d’ambiance harmonieuse, d’amour et de fraternité, six décennies de dialogue, d’amitié et de coopération entre les adeptes des religions du monde, inspirées par la Déclaration Nostra Aetate, l’un des documents les plus novateurs du Concile Vatican II, approuvé par les pères du Concile et promulgué par le Pape Paul VI, ont été célébrées. Comme mentionné dans la Déclaration: «À une époque où le genre humain devenait de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples se multiplient», l’Église a bien voulu «examiner plus attentivement quelles sont ses relations avec les religions non chrétiennes. Dans sa tâche de promouvoir l’unité et la charité entre les hommes, et aussi entre les peuples».
Des représentants du judaïsme à l'islam, de l'hindouisme aux religions traditionnelles africaines
«Marcher ensemble dans l’espérance», l’événement organisé à cette occasion en cette Année jubilaire par le dicastère pour le Dialogue Interreligieux et la Commission pour les Relations Religieuses avec le Judaïsme, a vu la participation des membres de la Curie Romaine, du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, des délégués catholiques engagés dans le dialogue interreligieux, des universitaires, des réseaux interreligieux et des jeunes du monde entier. Dans l’assemblée également, des dirigeants et représentants du judaïsme, de l’islam, de l’hindouisme, du jaïnisme, du sikhisme, du bouddhisme, du zoroastrisme, du confucianisme, du taoïsme, du shintoïsme et des religions traditionnelles africaines. Environ deux mille personnes ont participé à l’événement.
Nostra Aetate, une pierre angulaire, et des témoignages
Avant le discours très attendu du Pape Léon XIV, les personnes présentes ont assisté à des spectacles de danse, et de chorégraphie indonésienne représentant l'hindouisme, le catholicisme et l'islam; à un moment musical de la tradition juive rappelant l'espoir du peuple d'Israël; à une prestation d'un chœur africain ayant interprété un chant de la République démocratique du Congo en Tshiluba, une langue bantoue. La poésie clamée par des femmes vêtues de pagnes africains, a été écrite par Filomeno Lopes, écrivain et journaliste de Radio Vatican originaire de Guinée-Bissau. Des témoignages ont également marqué l’évènement, dont celui par vidéo, du Birman maître Hassin Tao qui, enfant soldat, transféré à Taïwan, a fondé le monastère bouddhiste du Mont Linjiu et le Musée des religions du monde. Ou encore de Sarah Bernstein, du Rossing Center de Jérusalem, une voix juive de réconciliation et de collaboration entre communautés en conflit.
Comme prévu, une courte vidéo a été projetée, intitulée «Nostra Aetate: une pierre angulaire», qui retrace les étapes principales de ces 60 années, à travers les gestes et paroles des Papes. Notamment de Jean-Paul II qui, dans le cadre des célébrations du 25e anniversaire de Nostra Aetate, avait rencontré le 6 décembre 1990, les délégués du Comité juif international pour les consultations interreligieuses et les membres de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. Et de François qui avait signé avec le Grand Imam d'Al-Azhar, le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, le 4 février 2019.
Les racines juives du christianisme
Et en ce 28 octobre 2025, Léon XIV, acclamé par les participants à son arrivée dans la salle, est revenu dans son discours prononcé en anglais, sur le chemin parcouru durant toutes ces années, notant que «Nostra Aetate s’est réellement développée». Au départ, a-t-il raconté, «le Pape Jean XXIII avait chargé le cardinal Augustin Bea de présenter au Concile un traité décrivant une nouvelle relation entre l’Église catholique et le Judaïsme». Le quatrième chapitre consacré au Judaïsme, a souligné l’évêque de Rome, «est le cœur et le noyau générateur de toute la Déclaration. Pour la première fois dans l’histoire de l’Église, nous disposons d’un texte doctrinal à base explicitement théologique qui illustre les racines juives du christianisme d’une manière biblique bien fondée». En même temps, a-t-il précisé, «Nostra Aetate prend fermement position contre toutes les formes d’antisémitisme», et enseigne dans le chapitre suivant, «que nous ne pouvons véritablement invoquer Dieu, le Père de tous, si nous refusons de traiter de manière fraternelle tout homme ou toute femme créé à l’image de Dieu». L’Église rejetant toute forme de discrimination ou de harcèlement fondée sur la race, la couleur, la condition de vie ou la religion, a rappelé le Souverain pontife.
De par ses riches enseignements, la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, rappelle également que «partout, les religions tentent de répondre à l’agitation du cœur humain. Chacune, à sa manière, propose des enseignements, des modes de vie et des rites sacrés qui aident à guider leurs adeptes vers la paix et le sens de la vie». Et «l’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions, qui ‘‘reflètent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes’’». Elle les «considère avec une sincère révérence et invite ses fils et ses filles, par le dialogue et la collaboration, à reconnaître, préserver et promouvoir ce qui est spirituellement, moralement et culturellement bon dans tous les peuples».
Soixante ans plus tard, le message de Nostra Aetate reste plus urgent que jamais
La commémoration de Nostra Aetate aujourd’hui, témoigne que la graine d’espérance pour le dialogue interreligieux plantée il y a soixante ans, est «devenue un arbre majestueux, dont les branches s’étendent au loin, offrant un abri et portant des fruits riches de compréhension, d’amitié, de coopération et de paix», a noté le Souverain pontife. Léon XIV a salué le courage et la détermination de toutes ces personnes ayant œuvré pour donner vie à ce document: «Elles ont arrosé la graine, entretenu le sol et l’ont protégée. Certains ont même donné leur vie, des martyrs du dialogue qui se sont opposés à la violence et à la haine». «En tant que chrétiens, avec nos frères et sœurs d’autres religions, a-t-il poursuivi, nous sommes ce que nous sommes grâce à leur courage, leur sueur et leur sacrifice».
Aider les peuples à se libérer des chaînes
Le Pape a également adressé ses remerciements aux représentants des religions non chrétiennes pour leur collaboration avec le dicastère pour le Dialogue Interreligieux; la Commission pour les Relations Religieuses avec le Judaïsme du dicastère pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens; et avec l’Église catholique dans leurs pays respectifs. Mais aussi pour leur proximité lors de la maladie et du décès de son prédécesseur François. Le Pape Léon XIV a ensuite exprimé sa reconnaissance pour les messages de félicitations lors de son élection au Trône de Pierre, et leur présence à la messe inaugurale. «Des gestes qui témoignent du lien profond et durable qui nous unit».
«En tant que chefs religieux, guidés par la sagesse de nos traditions respectives, nous partageons une responsabilité sacrée», a poursuivi l'évêque de Rome. Elle consiste à «aider nos peuples à se libérer des chaînes des préjugés, de la colère et de la haine; à dépasser l’égoïsme et le narcissisme; à surmonter la cupidité qui détruit à la fois l’esprit humain et la terre». De cette manière, a fait comprendre le Successeur de Pierre, «nous pouvons conduire nos peuples à devenir les prophètes de notre temps, des voix qui dénoncent la violence et l’injustice, qui apaisent les divisions et proclament la paix pour tous nos frères et sœurs». Dans un monde où des «murs se dressent à nouveau entre les nations, entre les religions, voire entre voisins». Le Pape Léon XIV a déploré le «bruit des conflits, les blessures de la pauvreté et le cri de la terre qui nous rappellent à quel point notre famille humaine reste fragile». «Beaucoup se sont lassés des promesses; beaucoup ont oublié comment espérer».
Marcher ensemble dans l’espérance
L’espérance, message central du Jubilé, a été au cœur du discours de Léon XIV. Il a invité à «marcher ensemble dans l’espérance, le chemin que Nostra Aetate nous invite à poursuivre». À apporter l’espérance à une humanité souvent tentée par le désespoir. Car «lorsque nous le faisons, quelque chose de magnifique se produit, a-t-il expliqué, les cœurs s’ouvrent, des ponts se construisent et de nouvelles voies apparaissent, là où rien ne semblait possible». Pour l’évêque de Rome, «ce n’est pas l’œuvre d’une seule religion, d’une seule nation, ni même d’une seule génération. C’est une tâche sacrée pour toute l’humanité: garder l’espérance vivante, garder le dialogue vivant et garder l’amour vivant au cœur du monde».
Léon XIV a exhorté tous les responsables religieux à «réveiller chez tous les hommes et toutes les femmes leur sens de l’humanité et du sacré». «Rappelons-nous que la prière a le pouvoir de transformer nos cœurs, nos paroles, nos actions et notre monde. Elle nous renouvelle de l’intérieur, ravivant en nous l’esprit d’espérance et d’amour», a dit le Pape, invitant chacun, pour terminer, à faire une pause pour un temps de prière silencieuse.
Au cours de cette rencontre, chacun des participants a pu recevoir des mains d’enfants, des petits sachets de graines symbolisant la «graine d'espérance» plantée il y a 60 ans pour le dialogue interreligieux.
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