Le Pape souhaite un réveil des consciences face au réarmement
Salvatore Cernuzio – Cité du Vatican
C'est une paix «désarmée et désarmante», une paix «humble et persévérante», celle que le Pape Léon XIV implore pour ce monde où, pour atteindre cette même paix, on fait la guerre; où «on en vient à considérer comme une faute» le fait de ne pas se préparer suffisamment «à réagir aux attaques» et «à répondre aux violences». Un monde où les dépenses militaires ont augmenté de 9,4%; où les relations entre les peuples sont fondées sur la peur et la domination; où l'on bénit le nationalisme et où l'on justifie «religieusement la violence et la lutte armée».
Dans son message pour la 49e Journée mondiale de la paix qui aura lieu le 1er janvier 2026, publié le 18 décembre, Léon XIV propose une analyse crue dans son réalisme mais en même temps réconfortante par l'espérance qui l'imprègne. «Que la paix soit avec vous tous. Vers une paix désarmée et désarmante» est le thème choisi par le Pape américain pour ce document. Ce sont les premiers mots avec lesquels Robert Francis Prevost s'est présenté au monde il y a sept mois depuis la loge des Bénédictions.
Transformer les pensées et les paroles en armes
L'importance de la communication est l'un des fils conducteurs du message dans lequel le Pape exhorte les croyants à rester vigilants «face à la tentative croissante de transformer même les pensées et les paroles en armes». «Les grandes traditions spirituelles, tout comme l'usage correct de la raison, nous font aller au-delà des liens du sang ou de l'ethnie, au-delà de ces fraternités qui ne reconnaissent que ceux qui leur ressemblent et rejettent ceux qui sont différents», écrit le Pape. Tout cela ne va pas de soi aujourd'hui, à une époque où l'on a tendance à «entraîner les paroles de la foi dans le combat politique, à bénir le nationalisme et à justifier religieusement la violence et la lutte armée».
La paix n'est pas une utopie
Parallèlement à l'action, le Pape demande de «cultiver la prière, la spiritualité, le dialogue œcuménique et interreligieux comme voies de paix et langages de rencontre entre les traditions et les cultures». Grâce à «une créativité pastorale attentive et générative», il faut «montrer que la paix n'est pas une utopie». En effet, «lorsque nous traitons la paix comme un idéal lointain», nous finissons par «ne pas considérer comme scandaleux qu'on puisse la nier et même faire la guerre pour atteindre la paix».
La voie «désarmante» de la diplomatie et de la médiation
De ce point de vue, la dimension politique est également importante. Le Pape interpelle ceux qui sont appelés à assumer des responsabilités publiques aux plus hauts niveaux et dans les instances les plus qualifiées «étudient à fond le problème d’un équilibre international vraiment humain, d’un équilibre à base de confiance réciproque, de loyauté dans la diplomatie, de fidélité dans l’observation des traités». Le Pape invite à un examen approfondi et complet afin que se dégage le point à partir duquel se négocieraient des accords «amiables, durables et bénéfiques».
Au-delà du principe de légitime défense
Plus précisément, Léon XIV observe que «dans les relations entre citoyens et gouvernants, on en arrive à considérer comme une faute le fait de ne pas se préparer suffisamment à la guerre, à réagir aux attaques, à répondre à la violence». Il s'agit d'une logique «antagoniste» qui va «bien au-delà du principe de légitime défense» et qui, sur le plan politique, alimente la «déstabilisation planétaire» qui devient chaque jour «plus dramatique et imprévisible». Ce n'est pas un hasard, note Léon XIV, «si les appels répétés à l'augmentation des dépenses militaires et les choix qui en découlent sont présentés par de nombreux gouvernants comme une justification de la dangerosité des autres».
L'appel de Pacem in terris
Pour étayer sa pensée, Léon XIV cite Jean XXIII et Pacem in Terris. Il y a déjà soixante ans, Ce dernier avertissait que «les êtres humains vivent sous la menace d'un ouragan qui pourrait se déchaîner à tout moment avec une violence inimaginable» et que, avec les armes en circulation, «il n'est pas exclu qu'un événement imprévisible et incontrôlable puisse déclencher l'étincelle qui mettra en marche l'appareil guerrier».
Augmentation des armes
Le Pape Léon XIV note que la production et le commerce mondiaux d'armes ont augmenté de 9,4 % en 2024 par rapport à l'année précédente, atteignant 2 718 milliards de dollars, soit 2,5 % du PIB mondial. «Aujourd'hui, il semble que l'on veuille répondre aux nouveaux défis non seulement par un effort économique considérable en matière de réarmement, mais aussi par un réalignement des politiques éducatives», souligne le Pape, pointant du doigt «les campagnes de communication et les programmes éducatifs, dans les écoles et les universités, ainsi que dans les médias, qui diffusent la perception de menaces et transmettent une notion purement armée de défense et de sécurité».
Le danger des «machines»
Dans ce sens, le Pape repropose l'appel des Pères conciliaires dans la constitution Gaudium et spes, mettant déjà en garde contre le risque d'utiliser les armes scientifiques les plus modernes pour commettre des crimes et prendre des décisions atroces, et exhortant «les chefs d’États et les autorités militaires» à peser «leur immense responsabilité ». Léon XIV reprend ces mots également face aux «progrès technologiques et à l'application dans le domaine militaire de l'intelligence artificielle qui ont radicalisé la dimension tragique des conflits armés».
On assiste même, poursuit Léon XIV, à un processus de déresponsabilisation des dirigeants politiques et militaires, en raison de la «délégation» croissante aux machines de décisions concernant la vie et la mort des êtres humains.
Le Pape estime qu’il convient de dénoncer «les énormes concentrations d'intérêts économiques et financiers privés qui poussent les États dans cette direction; mais cela ne suffit pas si, dans le même temps, on ne favorise pas le réveil des consciences et de la pensée critique», souligne encore l'évêque de Rome.
Ne pas détruire les ponts, insister sur le dialogue et l'écoute
Dans ce scénario, il ne faut toutefois pas oublier l'importance du dialogue, qui signifie ne pas détruire les «ponts» et ne pas insister «sur le registre du reproche», mais plutôt privilégier «la voie de l'écoute» et, dans la mesure du possible, «la rencontre avec les motivations des autres». Cet enseignement est emprunté à saint Augustin, selon lequel «un véritable ami de la paix aime ceux qui ne l’aiment pas».
Les artisans de paix, sentinelles dans la nuit
Le Pape adresse enfin une pensée aux artisans de paix qui, «dans le drame de ce que le Pape François a défini comme la ‘troisième guerre mondiale par morceaux’, résistent encore à la contamination des ténèbres, comme des sentinelles dans la nuit». «Ouvrons-nous à la paix !», exhorte Léon XIV, «accueillons-la et reconnaissons-la, plutôt que de la considérer comme lointaine et impossible. Avant d'être un objectif, la paix est une présence et un chemin. Même si elle est contrariée à l'intérieur comme à l'extérieur de nous-mêmes, comme une petite flamme menacée par la tempête, gardons-la sans oublier les noms et les histoires de ceux qui en ont témoigné».
Témoins et prophètes d'une paix désarmée
À la fin de son message, Léon XIV interpelle les chrétiens afin qu'ils se souviennent «des tragédies dont ils se sont trop souvent rendus complices» et qu'ils deviennent «des témoins prophétiques» de la paix du Christ ressuscité qui «est désarmée, car son combat était désarmé, dans des circonstances historiques, politiques et sociales précises». Tous les chrétiens sont appelés à «agir avec miséricorde» et à prendre exemple sur ces frères et sœurs qui «ont su écouter la douleur des autres et se sont intérieurement libérés de l'illusion de la violence».
«Unir nos efforts pour contribuer mutuellement à une paix désarmante, une paix qui naît de l'ouverture et de l'humilité évangélique», telle est l'invitation finale du message pour la Journée mondiale de la paix 2026.
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