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Vers un accord mondial pour lutter contre les pandémies

Les négociations ont repris ce mois-ci à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) en vue d’un traité mondial sur les pandémies. Un accord semble possible, même si les points de désaccords sont importants, notamment sur la question d’un partage juste et équitable des pathogènes. Décryptage des enjeux de ce futur accord avec Hélène de Pooter, maitre de conférences à l’Université de Franche-Comté et auteure d’une thèse sur le droit international face aux pandémies.

Entretien réalisé par Jean-Benoît Harel – Cité du Vatican

Il y a quatre ans, la pandémie de coronavirus avait mis à l’arrêt le monde entier. Les moyens mis en œuvre pour y faire face ont montré un cruel manque de coordination entre les différents pays, certains bénéficiant de nombreux tests, vaccins et masques quand d’autres n’arrivaient pas à s’en procurer.

Afin de parvenir à une meilleure prévention et une meilleure riposte contre les pandémies à l'avenir, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) coordonne depuis plus de deux ans des discussions entre les 194 États membres. 

Fin mai 2024, les pays de l’OMS se sont rassemblés pour tenter de finaliser les discussions sur la prévention, la riposte et la communication à établir en cas de pandémie, mais en vain. Toutefois, un nouveau calendrier de négociation a été décidé les 16 et 17 juillet dernier et un accord pourrait être signé en 2025. Hélène de Pooter est maitre de conférences à l’Université de Franche-Comté et auteure d’une thèse sur le droit international face aux pandémies. Elle revient sur les enjeux de ce futur accord.

Comment est née cette idée d'un accord mondial sur les pandémies?

L'origine de cette proposition d'un nouveau texte, chargé de prévoir de nouvelles dispositions juridiques de lutte contre les pandémies, c'est le manque assez patent d'équité qu'on a pu observer pendant la pandémie de covid-19.

En effet, certaines populations privilégiées avaient plus facilement accès à des produits de santé, à des équipements de protection individuelle, à des médicaments, à des traitements, à des vaccins, pendant que d'autres n'avaient pas accès à grand-chose et étaient laissées un peu à elles-mêmes.

Quels sont les mécanismes envisagés pour parvenir à plus d'équité entre les différents pays lors d'une pandémie mondiale?

Il a d'abord été question d'assurer des financements pour les pays en développement afin que ces pays puissent développer leurs capacités en matière pharmaceutique et en matière d'accès aux produits de santé.

Un deuxième sujet, c'est la question technique, mais vraiment centrale de ce qu'on appelle le système PABS (Pathogen Access and Benefit-Sharing) que l’on peut traduire par l'accès aux pathogènes et le partage des avantages. Cela signifie que les chercheurs, pour faire avancer leurs recherches ont besoin d'avoir accès aux pathogènes qui se promènent dans la nature pour pouvoir les étudier, et éventuellement pour pouvoir anticiper une prochaine pandémie et fabriquer par anticipation des produits de santé.

Donc les chercheurs et les laboratoires pharmaceutiques sont désireux d'assurer à l'échelle mondiale un partage et un échange, le plus fluide et le plus libre possible, de ces pathogènes et des données qui sont associées à ces pathogènes, en particulier les séquences génétiques.

Concrètement, pourquoi ce partage d'éléments pathogènes à l'échelle mondiale constitue un point d'achoppement dans les négociations pour un futur accord?

Ce partage, de manière générale, se fait plutôt bien. Sauf qu’un jour, certains pays, et en particulier l'Indonésie, se sont rendus compte qu’alors qu'ils avaient gratuitement partagé des pathogènes qui étaient présents sur leur territoire, quelques mois ou quelques années plus tard, les laboratoires pharmaceutiques sont revenus vers eux en leur proposant de leur vendre des produits de santé fabriqués grâce aux pathogènes fournis initialement!

Donc, les pays en développement ont commencé à vouloir plus d'équité sur cette question en disant: «on veut bien partager avec les laboratoires pharmaceutiques les pathogènes qui sont sur nos territoires, mais on ne veut pas qu'ensuite, on nous revende à prix fort tous les avantages produits à partir de notre partage initial. On veut donc qu'il y ait un accès équitable aux avantages: par exemple, que, en échange de notre don initial de pathogènes, on nous donne ou vende à prix modeste les avantages, c'est à dire les produits pharmaceutiques qui vont être fabriqués. Ou on veut qu'en échange de notre don initial, on ait un accès aux technologies».

Ces pays souhaitent aussi qu'il y ait un équilibre entre les pays du Nord et les pays du Sud. C'est un point chaud des négociations en cours. Or, les États développés, poussés par le lobby des industries pharmaceutiques, sont réticents à l'idée de s'engager trop fermement en amont à devoir verser des contreparties aux pays en développement.

Vaccination d'une petite fille en Inde.
Vaccination d'une petite fille en Inde.

Y a-t-il des choses qui sont prévues sur la question de la riposte lorsqu'une pandémie est déjà en cours?

Oui, sur la riposte, il y a effectivement des dispositions qui sont prévues dans cet accord en cours de négociation. Mais il y a également des choses qui sont prévues dans le règlement sanitaire international, qui est un texte très ancien, dont la première version moderne a été adoptée en 1951, qui a été révisée dernièrement en 2005. Ce seront donc deux textes complémentaires en ce qui concerne la riposte.

L'une des innovations, c'est que le directeur général de l'OMS ne va plus seulement pouvoir déclarer ce qu'on appelait auparavant «l'urgence de santé publique de portée internationale». Il va également pouvoir déclarer un «état de pandémie» et cette déclaration lui donnera la possibilité d'émettre des recommandations à destination des États qui sont parties au règlement sanitaire international, par exemple sur la manière dont on doit se comporter en matière d'hygiène.

Un des sujets importants lors de la pandémie de Covid-19 avait été l'importance de la communication et le risque lié aux fake news. Est-ce que le futur traité envisage de se pencher sur cet aspect?

Oui, en vertu de l'accord qui est en cours de négociation, les États doivent faire leur possible pour lutter contre la mauvaise information et la désinformation. Alors après, reste à savoir ce qui est une mauvaise information et une désinformation. C'est un sujet éminemment politique, éminemment sensible parce qu'on frôle la question de la liberté d'expression, la liberté de penser, la liberté de la recherche, la liberté académique.

On frôle les questions de censure et d'abus dans le contrôle des communications donc c'est un sujet à suivre, dans l'espoir que ce genre de dispositions ne soient pas des prétextes pour censurer des opinions alternatives qui sont fréquentes en science.

La science n'est pas une vérité qui s'impose à tous. La science est un progrès avec des approches complémentaires qui peuvent se compléter et avancer dans le temps. Ce qui est vrai et ce qu'on croit vrai à un temps X n'est pas forcément vrai un temps X+1. La contradiction, le débat doivent pouvoir subsister dans un pays démocratique.

Enfin, comment concrètement va se manifester cet accord?

Sur ce sujet, il y a deux projets de décision qui ont été déposé à l'Assemblée mondiale de la santé: un projet déposé par les pays africains,  et un projet dissident soutenu notamment par les États-Unis. Le projet africain était précis, avec des dates, des échéances. Le projet concurrent était beaucoup plus flou. Finalement, c'est plutôt le projet africain qui l'a emporté avec quelques concessions.

Ce projet prévoit que les travaux de l'organe intergouvernemental de négociation vont reprendre dès le mois de juillet 2024, avec potentiellement une rotation entre les membres du bureau. Donc les travaux reprennent avec pour objectif de conclure un accord au plus tard lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé en mai 2025. Mais si possible, il sera conclu plus tôt, en convoquant une assemblée dite extraordinaire dont l'ordre du jour sera d'adopter l'accord.

Quelle forme pourrait-il prendre?

Les points de désaccord sont quand même assez importants. Et puis, il y a d'autres priorités qui s'installent dans l'actualité internationale. Mais à supposer que ce soit un succès, c'est-à-dire à supposer que l'accord soit bien adopté d'ici mai 2025, je pense tout de même que ce sera un accord a minima, sans énormément de substance précise, plutôt un accord avec des lignes directrices qui devront être complétées par les décisions de la future COP.

Car l'accord prévoit la création d'une COP (une Conférence des parties), un peu à l'image de l'accord de Paris. Cela veut dire qu'à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, les États parties à l'accord se réuniront périodiquement pour prendre des décisions complémentaires à l'accord. Donc, je pense que c'est cela qui va se produire: on aura la colonne vertébrale d'un accord, mais la chair sera réservé aux futures décisions des COP.

22 juillet 2024