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Lors de la rencontre des mouvements populaires. Lors de la rencontre des mouvements populaires.  

Les «cartoneros» à Rome: la voix des travailleurs invisibles

Lors de la Ve Rencontre mondiale des mouvements populaires qui a débuté hier, 21 octobre, à Rome, ces hommes et ces femmes de périphérie dont le travail consiste à ramasser et à vendre des déchets recyclables dans la rue ont entamé une réflexion sur leur travail, accompagnés par l’Église. «Le Pape François rêvait du jour où les mouvements populaires ne seraient pas simplement accueillis par l'Église, mais en feraient partie intégrante», a affirmé le cardinal Czerny.

Lorena Pacho Pedroche – Cité du Vatican

Là où d'autres voient des déchets, eux voient la vie, une opportunité de travail et un moyen concret de prendre soin de l'environnement. Ce sont les «cartoneros» ou «recycleurs», des hommes et des femmes qui vivent souvent en marge de la société et qui travaillent en ramassant du carton, du papier et d'autres déchets recyclables dans la rue, pour les trier et les vendre dans le cadre d’une économie informelle. Ils ramassent et gèrent ce que le monde jette pour ne pas être sans emploi et plonger dans l'extrême pauvreté. Exercé dans des conditions précaires, leur travail contribue de manière significative à réduire l'impact environnemental des déchets dans les grandes villes. Il s’agit d’une force considérable pour protéger l'environnement. Le Pape François, qui a suivi de près l'activité de ces personnes à Buenos Aires, a toujours reconnu leur travail social et environnemental et l'a toujours considéré comme digne, solidaire et écologique. À de nombreuses reprises, il a défendu leurs droits.

Rencontre et pèlerinage


La plupart des «cartoneros» sont organisés en syndicats et coopératives afin de revendiquer des conditions de travail dignes. Cette semaine, beaucoup d'entre eux sont venus à Rome de différents pays pour participer à la Ve Rencontre mondiale des mouvements populaires, qui se tient du 21 au 24 octobre, avec le soutien du dicastère pour le Service du développement humain intégral. Lors de cette rencontre, des représentants du monde entier sont en train de réfléchir afin de proposer des pistes d’actions à entreprendre sur les grands thèmes de la terre, du logement et du travail, que le Pape François a définis comme des «droits sacrés» de la dignité humaine.

Ce jeudi, ils rencontreront le Pape Léon XIV et samedi 25 et dimanche 26, ils participeront au pèlerinage jubilaire des mouvements populaires, dans le cadre du Jubilé des équipes synodales et des organismes de participation, démontrant ainsi leur engagement au service de la justice sociale et du bien commun.

Le cardinal Czerny lors de la réunion d'ouverture de la Ve rencontre des mouvements populaires à Rome.
Le cardinal Czerny lors de la réunion d'ouverture de la Ve rencontre des mouvements populaires à Rome.

Le «rêve» du Pape François

Le cardinal Michel Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, a participé à la première session de la rencontre et a parlé aux participants d'un souhait particulier du Pape François qui est en train de se réaliser. Le Souverain pontife argentin «rêvait du jour où les mouvements populaires - paysans et pêcheurs, migrants, travailleurs précaires, militants sociaux - ne seraient pas simplement accueillis par les fidèles de l'Église, mais aussi reconnus comme une partie vivante, pensante et active de la vie de l'Église», a déclaré le cardinal. Il a d’ailleurs souligné que, lors de ce déplacement, les délégations des mouvements populaires sont venues à Rome accompagnées de représentants de l'Église de leurs territoires, ce qui constitue un fait historique. «C'est l'enseignement du Concile Vatican II sur l'Église, c'est le chemin de la synodalité que Dieu attend de l'Église du troisième millénaire», a souligné le cardinal qui, à la fin de son intervention, s'est arrêté pour discuter avec les participants à l'événement. Le cardinal Baldo Reina, vicaire général du diocèse de Rome, était également présent à cette première journée d’échange, témoignant lui aussi de la volonté de l’Église d’accompagner les mouvements populaires, de les écouter et de les accueillir.


Constructeurs d'une écologie intégrale

S'adressant aux médias du Vatican, les «cartoneros» d'Amérique latine, d'Europe et d'Afrique se sont présentés comme des bâtisseurs d'une écologie intégrale, des gardiens de la maison commune qui, de leurs propres mains, donnent une nouvelle vie aux déchets du consumérisme, dans un geste silencieux contre la culture du rejet. «Nous prenons soin de l'environnement. Nous ne changerions jamais notre travail, mais nous voulons lui donner dignité et reconnaissance.  François nous a donné un grand élan et nous a laissé la mission de continuer à lutter de manière constructive pour la terre, le logement et le travail, pour l'égalité que nous méritons tous, comme tout autre citoyen qui a un emploi formel. Avec ces rencontres mondiales, nous voulons apporter notre grain de sable pour construire une montagne», explique Sergio Sánchez, président de la Fédération argentine des «Cartoneros», une vieille connaissance du Pape François depuis l'époque où il était archevêque à Buenos Aires.

Sans protection et confrontés à de nombreuses difficultés

Les «cartoneros» représentent un secteur souvent victime d'exclusion sociale et professionnelle. Ils exercent un travail informel, sans protection et dans des conditions difficiles. «Je suis très fier d'être recycleur, nous voulons être légaux. Notre travail consiste à nettoyer l'environnement et à améliorer notre vie. Nous promouvons l'économie circulaire et la durabilité. Nous travaillons sans conditions de sécurité, nous n'avons même pas d'assurance maladie. Tout cela doit changer, nous avons de l'espoir », déclare Friday Gabriel Oku, président d'une association de recycleurs de Lagos, au Nigeria (ASWOL).

«Nous luttons contre l'invisibilité, l'oppression et la discrimination»

Les «cartoneros» réclament une rémunération équitable pour les matériaux recyclés, une sécurité sociale, des moyens leur permettant de travailler en toute sécurité et plus efficacement, étant donné que la plupart d'entre eux gèrent une quantité considérable de déchets uniquement à la main et à l'aide de charrettes précaires. Et ils demandent à sortir de l'invisibilité. Ils veulent que le monde valorise leur travail, demandent à être intégrés dans les grands systèmes de gestion des déchets et que les États reconnaissent leur rôle. «Nous luttons contre l'invisibilité, l'oppression et la discrimination. Lorsque, il y a onze ans, nous avons participé à la première Rencontre mondiale des mouvements populaires au Vatican, convoquée par le Pape François, c'était la première fois que j'entendais notre travail être reconnu», souligne Samuel Le Coeur, fondateur de l'association Amelior qui regroupe plus de 700 recycleurs de Paris, en France. Il a rappelé une phrase que l'on entend dans plusieurs pays et qui souligne l'importance de leur travail pour éviter que les déchets réutilisables ne finissent dans les décharges: «Sans les «cartoneros», il n'y a pas de recyclage, et le recyclage sans les «cartoneros», c'est des ordures».

La rencontre des mouvements populaires à Rome.
La rencontre des mouvements populaires à Rome.

Un travail important pour l'humanité

Severino Francisco de Lima Junior, «cartonero» brésilien et président de l'Alliance internationale des recycleurs, lui fait écho: «Nous voulons que les gens nous considèrent comme des travailleurs et non comme des invisibles, que les gouvernements nous embauchent pour le service que nous fournissons, que les autorités nous écoutent, nous voulons instaurer un dialogue et qu'elles comprennent le bien que notre travail apporte, que nous effectuons souvent dans des conditions inhumaines» . Nohra Padilla, présidente de l'Association nationale des recycleurs de Colombie, lauréate du prix Goldman pour l'environnement pour son travail de «cartonera», qu'elle exerce depuis plus de quarante ans, se bat pour obtenir de meilleures conditions pour les générations futures. «Les systèmes injustes comme le capitalisme ont inversé les valeurs. Nous qui fournissons des services essentiels sommes traités de manière très injuste, tandis que les grandes entreprises qui s'occupent de la gestion des déchets réalisent d'énormes profits. Notre travail est très important pour l'humanité», affirme-t-elle.

Avec chaque morceau de carton recyclé, les «cartoneros» donnent une leçon de durabilité et de respect de l'environnement. Ils savent très bien que ce travail humble peut devenir un service essentiel pour tous. «Nous ne sommes pas les laissés-pour-compte du monde», commente Sánchez. «Nous faisons partie de ce monde et nous rendons service à nos sociétés en recyclant».


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22 octobre 2025, 16:24