Colloque sur la mystique: les pratiques chrétiennes en dialogue avec les autres religions
Edoardo Giribaldi et Daniele Piccini – Cité du Vatican
Au cœur des pratiques mystiques se dissimulent des lieux de rencontre où les différentes confessions semblent se reconnaître «dans un esprit de respect réciproque, éloigné des conflits et de la confrontation». Cela se manifeste dans le soufisme islamique, qui professe l’amour et la bienveillance entre les croyants ; dans le judaïsme, lorsque l’homme pur devient un «canal de l’émanation céleste» ; ou encore dans les vers des poètes hindous Āḷvār, où l’amour pour Dieu vibre, selon plusieurs historiens, avec la même intensité et les mêmes thèmes fondamentaux que ceux du Cantique des cantiques et du Cantique spirituel de saint Jean de la Croix.
Tels étaient les points approfondis le mercredi 12 novembre, lors de la troisième journée du colloque La mystique: Les phénomènes mystiques et la sainteté, organisé par le Dicastère pour les Causes des Saints à l’Université pontificale urbanienne.
Emma Abate : théurgie et extases dans le judaïsme
Après un moment d’ouverture en prière, la professeure Emma Abate, de l’Université de Bologne et collaboratrice du Centre «Agostino Bea» de l’Université pontificale grégorienne, avait pris la parole sur le thème de la théurgie et de l’extase dans le mysticisme juif.
Elle a d’abord précisé la nature des deux notions : la théurgie désigne l’action de l’homme qui influence le monde céleste, tandis que l’extase évoque l’expérience de rencontre et d’union avec le divin. «Qui est donc le mystique juif ?» a-t-elle demandé. «Le sage, l’homme pieux et pur, capable de contempler les formes spirituelles de la Création, devenant ainsi un canal d’émanation divine».
Dans la Qabbalah, a-t-elle ajouté, la figure du mystique coïncide avec celle du ṣaddiq, celui qui «maintient le lien entre Dieu et le monde et, par sa vie, actualise l’image divine dans l’homme».
Salman : amour et union avec l’Absolu dans le soufisme islamique
Le père Wasim Salman, président de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (PISAI), est ensuite intervenu sur les voies de l’amour et de l’union avec l’Absolu dans certaines pages du soufisme islamique. Défini comme une véritable «mystique de l’islam», le soufisme est une voie spirituelle de purification, d’amour et de connaissance directe de Dieu. L’expérience mystique, a-t-il expliqué, «dépasse les limites de la religion extérieure», de la sharīʿa entendue comme simple observance de la loi, pour en révéler la dimension spirituelle et universelle, «qui unit tous les hommes, même ceux d’autres confessions».
De manière plus large, a souligné le prêtre, le soufisme prêche l’amour et la bienveillance entre les croyants, et peut faire de cet amour «sans limites» le langage grâce auquel les civilisations d’Orient et d’Occident se rencontrent, «dans un esprit de respect réciproque, loin des conflits et des affrontements».
Kanakappally : la poésie mystique des auteurs hindous
Dans le cadre des interventions consacrées au dialogue entre la mystique chrétienne et les autres traditions religieuses, le père Benedict Kanakappally, professeur à la Faculté de missiologie de l’Université pontificale urbanienne, a présenté une réflexion sur la poésie mystique hindoue. L’hindouisme, a-t-il rappelé, a donné naissance à plusieurs formes de mysticisme à travers les poètes Āḷvār — terme spirituel signifiant «celui qui s’est immergé», en référence à la contemplation de Dieu. Ces auteurs, issus pour la plupart des castes les plus modestes, ont témoigné du dépassement des barrières sociales et de la conviction que «face à l’expérience spirituelle et mystique, les castes et les conditions sociales ne comptent pas». Leurs poésies ont été rapprochées de certains textes bibliques, notamment du Cantique des cantiques et du Cantique spirituel de saint Jean de la Croix, où l’on retrouve des analogies, en particulier avec ce dernier, dans la représentation du chemin d’union avec Dieu à travers la description de la «recherche passionnée d’une femme pour son bien-aimé».
Borriello : les critères de discernement des phénomènes mystiques
Après la pause des travaux, le colloque avait accueilli le père Luigi Borriello, professeur émérite de théologie spirituelle et mystique, qui a abordé les critères de discernement des phénomènes mystiques. Ces phénomènes, a-t-il expliqué, constituent une «réalité vécue et vérifiable» dans la vie de l’Église, mais ils doivent être interprétés selon plusieurs perspectives : en vérifier l’authenticité, examiner les personnes qui en font l’expérience et s’interroger sur la signification à leur attribuer. Les signes divins, a rappelé le religieux, «ne surviennent pas sur commande» et doivent être accueillis avec prudence et discernement.
Le père Borriello a ensuite analysé les différents types de phénomènes mystiques, à commencer par les apparitions, qu’il a définies comme «le canal humble par lequel se manifeste le Dieu invisible». Leur élément central, a-t-il précisé, réside dans leur caractère sensible : «celui qui vit une apparition demeure conscient, en état de veille, et continue de percevoir normalement le monde environnant». Leur fonction peut aller de la «simple transmission d’un ordre ou d’un avertissement» à «l’instruction dans la foi et à la communication d’une grâce personnelle». En ce qui concerne les visions, le théologien les a décrites comme «la perception visuelle d’une réalité qui, dans des circonstances ordinaires, ne peut être connue». Elles ont souvent pour thèmes «la rencontre d’amour avec le Christ, qui s’accomplit dans l’union mystique», la vision allégorique à caractère prophétique, ou encore «le transport dans les temps et les lieux de la vie de Jésus». Enfin, le père Borriello s’est arrêté sur les locutions, qu’il a définies comme «des formules exprimant des affirmations ou des désirs perçus par le langage articulé à travers l’ouïe».
Semeraro : toute vie chrétienne est mystique
En conclusion de la troisième journée de travaux, le cardinal Marcello Semeraro, préfet du Dicastère pour les Causes des Saints, a proposé «quelques réflexions en guise de conclusion» sur ce qui avait été partagé, en soulignant que toute vie chrétienne, sans cesse appelée par Dieu, possède une dimension mystique. Évoquant la figure de Saint John Henry Newman, récemment proclamé Docteur de l’Église, le cardinal a observé que l’on s’est souvent demandé s’il était ou non un mystique. «Tout dépend de ce que l’on entend par ce mot», a-t-il noté : «si l’on parle d’un intime sentiment de la présence de Dieu, Newman fut certainement un mystique ; mais si l’on se réfère à des grâces extraordinaires, il n’existe aucun témoignage en ce sens».
Rappelant la Petitio qu’il avait adressée au pape Léon XIV sur le parvis de la basilique Saint-Pierre le 1er novembre dernier pour demander la proclamation de Newman comme Docteur de l’Église, le préfet a souligné qu’il l’avait décrit comme «un mystique d’une grande modernité pour notre temps». Dans un sermon prononcé à Dublin le 25 janvier 1857, Newman distinguait en effet «deux types de saints» : ceux qui sont «étrangers à la nature humaine», «surnaturels», et qui «aiment les autres parce qu’ils aiment Dieu» ; et ceux «en qui le surnaturel s’unit à la nature humaine». Selon lui, «nous ne sommes pas appelés une seule fois, mais plusieurs fois : nous sommes introduits d’un niveau inférieur à un niveau supérieur», un mouvement ascensionnel qui peut être interprété «dans une perspective mystique». Le cardinal Semeraro a conclu en rappelant que les grâces mystiques ne constituent pas une condition indispensable à la sainteté, mais que la succession des appels divins à la sainteté inscrit la vie chrétienne «dans le mouvement d’une croissance continue sous l’influence de la grâce divine». «Cette idée», a-t-il affirmé, «s’inscrit pleinement dans la tradition de la théologie mystique».
Pour clôturer le colloque, le cardinal avait proposé en prière un passage d’un sermon de Newman sur les appels divins, dans lequel on demande à Dieu «de se révéler toujours plus pleinement à nos âmes».
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