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Le cri du Congo: quand la guerre vole l'enfance et façonne les consciences

On dit souvent: «Qui veut la paix prépare la guerre». Mais que savent-ils de la guerre, ceux qui la préparent depuis leurs bureaux? Ont-ils déjà fui un village en flammes, enterré leurs proches dans la nuit, à la hâte, perdu un frère ou un ami? Le père Kambale Kasumba Joseph, jésuite congolais a grandi dans l’Est du Congo, où la guerre n’est plus un événement mais un climat. Son témoignage invite à regarder autrement la paix, non pas comme une victoire, mais comme une harmonie à reconstruire.

Camille Mukoso, SJ – Nairobi

Criminologue de formation, le père Kambale Kasumba Joseph parle peu, mais juste. Ses mots pèsent comme des pierres. «J’ai été façonné par la violence. Ma jeunesse a été volée par la guerre», confie-t-il. Ces mots suffisent. La guerre, pour lui, n’est pas un événement daté, mais une matrice. Elle a modelé son enfance, interrompu sa scolarité, détruit son cercle d’amis. Dans son regard, pas de colère, seulement une fatigue ancienne, celle de ceux qui ont trop vu: «J’ai été témoin de mes proches tués. Mon parcours scolaire a été marqué par la fuite». À l’entendre parler, on ne peut que se demander comment grandir dans un monde où la mort rôde à chaque saison.

L’expérience du père Kambale rappelle ce que la philosophe Hannah Arendt appelait “la banalité du mal”. Non pas le mal spectaculaire, mais celui qui devient quotidien, presque administratif. Dans ces zones où l’État s’effondre, la violence devient une langue que les enfants apprennent avant même de lire. La guerre, dit-il, détruit d’abord l’idée de normalité: «Je n’ai pas connu la paix telle que je la conçois, comme l’harmonie et le vivre-ensemble». Pour lui, la guerre n’est pas seulement l’absence de paix: elle est la déformation du réel, elle enseigne la peur comme mode d’existence.


La paix, ce n’est pas le silence des armes

À rebours des discours officiels, le père Kambale ne définit pas la paix comme la fin des combats, ou la signature d’un accord à la table des négociations. Il la comprend comme une harmonie intérieure et communautaire: «La paix, c’est l’harmonie. Elle commence par la paix du cœur. Souvent, la guerre éclate, mais on ne dira jamais que la paix éclate». Cette phrase, d’une simplicité évangélique, renverse la logique dominante. La paix, chez lui, n’est pas le résultat d’une stratégie, mais le fruit d’une conversion. Elle n’appartient pas aux diplomates, mais aux consciences. L’on comprend dès lors, que la paix n’est pas un “état” à atteindre mais une “relation” à cultiver. Dans son enfance, cette paix a toujours été «interrompue». Pourtant, il la garde comme un horizon. Car, dit-il, «la paix ne se décrète pas, elle se vit».   

Sous le vernis du progrès, coule le sang des innocents   

Quand il aborde les causes de la guerre, son ton se durcit: «La guerre au Congo, c’est d’abord la mauvaise politique. Celui qui veut le pouvoir doit créer un groupe qui haïra un autre». C’est là toute la logique du scandale politique de la division. La guerre n’est plus une fatalité naturelle. Elle devient un outil de gouvernement. De son point de vue, les catégories “nous” et “eux” sont le véritable champ de bataille. Elles structurent le pouvoir, l’économie, la mémoire. Ces fractures, attisées par la soif de pouvoir ou de ressources, déchirent les communautés. «Les politiciens divisent, les rebelles tuent, et la population paie le prix». Et derrière ces fractures locales, il pointe un réseau plus vaste: «Les organisations étrangères, les opérateurs économiques ne sont pas innocents. Ils exploitent nos minéraux au moindre coût, même si cela détruit nos villages». Cette interpellation rappelle combien les conflits de l’Est du Congo sont liés à notre propre confort globalisé, nos téléphones, nos batteries, nos ordinateurs. Sous le vernis du progrès, «coule le sang des innocents».  

Les ONG et l’économie de la guerre

«Depuis mon enfance, j’ai vu passer des ONG. Ça n’a rien changé». Ce constat n’est pas un rejet du monde humanitaire, mais un appel à la lucidité. L’aide internationale, parfois, entretient la dépendance qu’elle prétend combattre. «C’est l’économie de la guerre qui profite à ces organisations plus qu’à la population». On touche ici au paradoxe tragique de l’humanitaire: vouloir sauver sans transformer, panser sans guérir. Les acteurs extérieurs agissent sur les effets, non sur les causes. Et, ce faisant, prolongent le statu quo. La paix véritable, suggère le père Kambale, ne viendra pas de l’extérieur, mais d’une prise de conscience intérieure et communautaire.

La jeunesse comme lieu de résurrection

Malgré la douleur, son discours ne verse jamais dans le désespoir. «La jeunesse, c’est l’espoir du pays». Il croit à une génération nouvelle, non militarisée, non manipulée. Une jeunesse “formée à la paix”, capable de refuser les propagandes et les campagnes de haine. Ce passage de témoin est crucial, en ce sens qu’il fait de la jeunesse non pas une victime, mais un acteur. Et lorsqu’on lui demande s’il garde espoir, il répond sans hésiter: «Oui, je suis plein d’espérance. Même les ennemis d’hier peuvent se tendre la main». Mais cette paix, dit-il, ne viendra pas seulement des politiciens. «Elle commence dans le langage, dans le regard qu’on porte sur l’autre».

À la fin de l’entretien, il dit encore: «Il n’y a pas de vie supérieure à une autre. Tant qu’une partie de l’humanité souffre, l’humanité entière est blessée». Ces mots devraient figurer en exergue de toute diplomatie mondiale. Ils nous rappellent que la guerre du Congo n’est pas “leur guerre”, c’est notre miroir. Car chaque silence, chaque indifférence, chaque produit extrait du sang des pauvres fait de nous des acteurs de ce drame. Et peut-être qu’alors, un jour, au lieu d’entendre que la guerre éclate, on pourra dire: “La paix s’est levée.”  

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25 octobre 2025, 15:02