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Exhortation sur sainte Thérèse de Lisieux, la grâce de la confiance

L’exhortation apostolique consacrée à sainte Thérèse de Lisieux intitulée «C’est la confiance» est parue dimanche 15 octobre, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de la sainte normande, mais aussi du centenaire de sa béatification. En 27 pages en français, le Pape ausculte le génie spirituel et théologique de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

«Seule la confiance, et “rien d’autre”, il n’y a pas d’autre chemin pour nous conduire à l’Amour qui donne tout.» La date de cette publication, mémoire de sainte Thérèse d’Avila, a pour but de présenter sainte Thérèse de l’Enfant Jésus «comme un fruit mûr de la réforme du Carmel et de la spiritualité de la grande sainte espagnole», explique le Souverain pontife en préambule, touché par «la lumière et l’amour extraordinaires» rayonnant de la jeune religieuse morte à 24 ans, patronne des missions, patronne de la France. Lire l'intégralité de l'exhortation. 

L'évangélisation «par attraction»

Dès le premier chapitre, le Pape revient sur l’âme missionnaire de la carmélite entrée dans les ordres «pour sauver les âmes».[1] Les dernières pages de l’Histoire d’une âme[2] sont un testament missionnaire, affirme François, saluant sa manière de concevoir l’évangélisation «par attraction»,[3] «non par pression ou prosélytisme».

«Cette grâce libère de l’autoréférentialité», note le Saint-Père, sondant le cœur de Thérèse dans lequel «la grâce du baptême devient ce torrent impétueux qui se jette dans l’océan de l’amour du Christ, emportant avec lui une multitude de sœurs et de frères».

 

La primauté de la grâce divine sur l'action humaine

Le Pape François revient sur «la petite voie» de la confiance et de l’amour, cœur de la spiritualité thérésienne. Thérèse raconte cette découverte de la petite voie dans l’Histoire d’une âme :[4] «Je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle».[5]

«Face à une conception pélagienne de la sainteté,[6] individualiste et élitiste, plus ascétique que mystique, qui met surtout l’accent sur l’effort humain, Thérèse souligne toujours la primauté de l’action de Dieu, de sa grâce», observe le Souverain pontife, précisant que cette façon de penser ne contredit pas l’enseignement catholique traditionnel sur la croissance de la grâce. Mais Thérèse préfère souligner la primauté de l’action divine et enseigne au fond que, puisque nous ne pouvons avoir aucune certitude en nous regardant nous-mêmes,[7] nous ne pouvons pas non plus être certains de posséder des mérites.

«L’attitude la plus appropriée est donc de mettre la confiance du cœur hors de soi-même, en la miséricorde infinie d’un Dieu qui aime sans limites et qui a tout donné sur la Croix de Jésus-Christ», souligne le Pape, estimant que telle confiance illimitée encourage ceux qui se sentent fragiles, limités, pécheurs «à se laisser conduire et transformer pour atteindre le sommet».

L’abandon quotidien

23. Le Successeur de Pierre invite à ne pas comprendre la confiance que Thérèse promeut «seulement par rapport à la sanctification et au salut personnels», mais dotée d’un sens intégral qui embrasse la totalité de l’existence concrète et s’applique à toute notre vie où nous sommes souvent envahis par les peurs, par le désir de sécurité humaine, par le besoin de tout contrôler. C’est là qu’apparaît l’invitation à un saint «abandon», qui libère «des calculs obsessionnels, de l’inquiétude constante pour l’avenir, des peurs qui enlèvent la paix».

L’héroïsme du feu et de la foi dans la nuit

25. Thérèse a aussi vécu la foi la plus forte et la plus certaine «dans l’obscurité de la nuit et même dans l’obscurité du Calvaire». Son témoignage atteint son apogée dans la dernière période de sa vie, dans sa grande «épreuve contre la foi»,[8] commencée à Pâques 1896. Dans son récit [9], elle relie cette épreuve à la douloureuse réalité de l’athéisme en cette fin du XIXe siècle, «âge d’or» positiviste et matérialiste. Lorsqu’elle écrit que Jésus avait permis que son âme «fût envahie des plus épaisses ténèbres»,[10] elle désigne ces ténèbres de l’athéisme et le rejet de la foi chrétienne. «Thérèse perçoit, dans ces ténèbres, le désespoir, le vide du néant [11]», assure le Saint-Père, rappelant comment «l’experte en science de l’amour» a vaincu le mal. «Le récit de Thérèse montre le caractère héroïque de sa foi, sa victoire dans le combat spirituel face aux tentations les plus fortes. Elle se sent la sœur des athées et se met à table, comme Jésus, avec les pécheurs (cf. Mt 9, 10-13)».

«Elle vit, même dans l’obscurité, la confiance totale de l’enfant qui s’abandonne sans crainte dans les bras de son père et de sa mère». Pour Thérèse, en effet, Dieu brille avant tout par sa miséricorde, clé pour comprendre tout ce qui est dit de Lui. Selon le Pape, c’est l’une des découvertes les plus importantes de Thérèse pour le peuple de Dieu. «Elle est entrée de manière extraordinaire dans les profondeurs de la miséricorde divine et y a puisé la lumière de son espérance sans limites».

Espérance et charité

29. Le Souverain pontife rappelle à cet égard que le péché du monde est certes immense, mais il n’est pas infini comme l’est l’amour miséricordieux du Rédempteur. «Thérèse est témoin de la victoire définitive de Jésus sur toutes les forces du mal par sa passion, sa mort et sa résurrection. Mue par la confiance, elle ose écrire: ‘’Jésus, fais que je sauve beaucoup d’âmes, qu’aujourd’hui il n’y en ait pas une seule de damnée. Jésus, pardonne-moi si je dis des choses qu’il ne faut pas dire, je ne veux que te réjouir et te consoler’’.[12]»

31. L’Histoire d’une âme est aussi un témoignage de charité, relève le Successeur de Pierre. L’acte d’amour “Jésus, je t’aime”, continuellement vécu par Thérèse comme une respiration, est la clé de sa lecture de l’Évangile. Elle habite l’Évangile avec Marie et Joseph, Marie Madeleine et les Apôtres.

La grâce dans la plus grande simplicité

36. Thérèse vit la charité dans la petitesse, dans les choses les plus simples de la vie quotidienne. «En effet, alors que les prédicateurs de son temps parlaient souvent de la grandeur de Marie de manière triomphaliste, éloignée de nous, Thérèse montre, à partir de l’Évangile, que Marie est la plus grande dans le Royaume des Cieux parce qu’elle est la plus petite (cf. Mt 18, 4), la plus proche de Jésus dans son humiliation», écrit encore le Saint-Père, ajoutant: «Elle voit que, si les récits apocryphes sont remplis de passages frappants et merveilleux, les Évangiles nous montrent une existence humble et pauvre, vécue dans la simplicité de la foi». Ainsi Marie a été la première à vivre la «petite voie» dans la foi pure et l’humilité, rappelle encore le Pape.

Le corps et le cœur de l’Église

38. François développe ensuite l’amour de Thérèse pour l’Église, hérité de sainte Thérèse d’Avila: «Elle a pu atteindre les profondeurs de ce mystère». 39. Au chapitre 12 de la première Lettre de saint Paul aux Corinthiens, l’Apôtre utilise la métaphore du corps et de ses membres pour expliquer que l’Église comprend une grande variété de charismes ordonnés selon un ordre hiérarchique. Mais cette description ne suffit pas à Thérèse, note le Pape. Elle poursuit ses recherches, lit l’“hymne à la charité” du chapitre 13, y trouve sa réponse: «La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’Amour renfermait toutes les vocations, que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot, qu’il est éternel!»

40. «Ce n’est pas le cœur d’une Église triomphaliste, c’est le cœur d’une Église aimante, humble et miséricordieuse», remarque le Saint-Père, jugeant qu’une telle découverte du cœur de l’Église est aussi une grande lumière pour nous aujourd’hui, «afin de ne pas nous scandaliser des limites et des faiblesses de l’institution ecclésiastique, marquée par des obscurités ou des péchés». «“Je serai l’amour” est le choix radical de Thérèse, sa synthèse définitive, son identité spirituelle personnelle», proclame François.

À la fin, seul compte l’amour

45. C’est ainsi la confiance qui nous conduit à l’Amour, libère de la peur, aide à détourner le regard de nous-mêmes, écrit le Saint-Père. «Cela nous laisse un immense torrent d’amour et d’énergies disponibles pour rechercher le bien des frères. Et ainsi, au milieu de la souffrance de ses derniers jours, elle pouvait dire: «Je ne compte plus que sur l’amour».[13] À la fin, seul compte l’amour. La confiance fait jaillir les roses et les répand comme un débordement de la surabondance de l’amour divin.»

Au chapitre 4, le Pape François aborde sainte Thérèse non seulement comme une mystique, mais comme une «Docteur de la synthèse» 47. L’exhortation permet au Pape de rappeler que, dans une Église missionnaire, «l’annonce se concentre sur l’essentiel, sur ce qui est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire. La proposition se simplifie, sans perdre pour cela profondeur et vérité, et devient ainsi plus convaincante et plus lumineuse».[14] «Le cœur lumineux c’est la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ mort et ressuscité».[15]

Docteur synthétique géniale 

48. Tout n’est pas central, car il y a un ordre ou une hiérarchie entre les vérités de l’Église, rappelle François -et «ceci vaut autant pour les dogmes de foi que pour l’ensemble des enseignements de l’Église, y compris l’enseignement moral»-,[16] mais le centre de la morale chrétienne est la charité, réitère le Pape. 49. Et François d’affirmer là que l’apport spécifique de la petite Thérèse comme sainte et comme docteur de l’Église n’est pas «analytique, comme pourrait l’être par exemple celui de saint Thomas d’Aquin». «Son apport est plutôt synthétique, car son génie est de nous conduire au centre, à l’essentiel, au plus indispensable», conclut le Souverain pontife.

Audace et liberté intérieure

50. «Théologiens, moralistes, penseurs de la spiritualité, ainsi que les pasteurs et chaque croyant dans son milieu, nous devons encore recueillir cette intuition géniale de Thérèse et en tirer les conséquences tant théoriques que pratiques, tant doctrinales que pastorales, tant personnelles que communautaires. Il faut de l’audace et de la liberté intérieure pour y parvenir», exhorte le Pape. 52. Du ciel à la terre, l’actualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face demeure dans toute sa «petite grandeur», ajoute-t-il, concluant l’exhortation par cette litanie pour notre temps:

«En un temps qui nous invite à nous enfermer dans nos intérêts particuliers, Thérèse nous montre qu’il est beau de faire de la vie un don. À un moment où les besoins les plus superficiels prévalent, elle est témoin du radicalisme évangélique. En un temps d’individualisme, elle nous fait découvrir la valeur de l’amour qui devient intercession. À un moment où l’être humain est obsédé par la grandeur et par de nouvelles formes de pouvoir, elle montre le chemin de la petitesse. En un temps où de nombreux êtres humains sont rejetés, elle nous enseigne la beauté d’être attentif, de prendre soin de l’autre. À un moment de complexité, elle peut nous aider à redécouvrir la simplicité, la primauté absolue de l’amour, la confiance et l’abandon, en dépassant une logique légaliste et moralisante qui remplit la vie chrétienne d’observances et de préceptes et fige la joie de l’Évangile. En un temps de replis et d’enfermements, Thérèse nous invite à une sortie missionnaire, conquis par l’attrait de Jésus Christ et de l’Évangile.»

[1] Ms A, 69v°, p. 187.

[2] Cf. Ms C, 33v°-37r°, pp. 280-285.

[3] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 14 : AAS 105 (2013), pp. 1025-1026.

[4] Cf. Ms C, 2v°-3r°, pp. 237-238.

[5] Ibid., 2v°, p. 237.

[6] Cf. Exhort. ap. Gaudete et Exsultate (19 mars 2018), nn. 47-62 : AAS 110 (2018), pp. 1124-1129.

[7] Le Concile de Trente l’expliquait ainsi : « Quiconque se considère lui-même, ainsi que sa propre faiblesse et ses mauvaises dispositions, peut être rempli d’effroi et de crainte au sujet de sa grâce » (Décret sur la justification, IX : DS, n. 1534). Le Catéchisme de l’Église Catholique le reprend lorsqu’il enseigne qu’il est impossible d’avoir une certitude sur nos propres sentiments ou sur nos œuvres (cf. n. 2005). La certitude de la confiance ne se trouve pas en nous-mêmes ; le propre moi ne fournit pas la base de cette certitude, qui ne repose pas sur une introspection. D’une certaine manière, saint Paul l’exprimait ainsi : « Je ne me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur » (1 Co 4, 3-4). Saint Thomas d’Aquin l’expliquait ainsi : puisque « la grâce est de quelque manière imparfaite en ce sens qu’elle ne guérit pas totalement l’homme » (Summa I-II, q. 109, art. 9, ad 1), « il reste aussi une certaine obscurité d’ignorance dans l’intelligence » (ibid., co).

[8] Ms C, 31rº, p. 277.

[9] Cf. ibid., 5rº-7vº, pp. 240-244.

[10] Ibid., 5vº, p. 241.

[11] Cf. ibid., 6vº, pp. 242-243.

[12] Pri 2, p. 958.

[13] LT 242, à Sœur Marie de la Trinité (6 juin 1897), p. 599.

[14] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 35 : AAS 105 (2013), p. 1034.

[15] Ibid., n. 36 : AAS 105 (2013), p. 1035.

[16] Ibid.

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15 octobre 2023, 10:00