Catholiques et orthodoxes, une amitié sur le chemin de l'unité
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
La commémoration du 1700e anniversaire du premier Concile œcuménique de l’histoire de l’Église à Nicée s’est déroulée ce vendredi 28 novembre, en présence de l’évêque de Rome, du patriarche de Constantinople ainsi que de nombreux patriarches de la Pentarchie du premier millénaire, au bord du lac d’Iznik, sur l’antique site de la basilique Saint-Néophyte. Cette célébration était une motivation première de ce premier voyage apostolique. Depuis le Concile Vatican II, le lien s’est affermi entre les Églises de Rome et Constantinople, unies par les frères apôtres Pierre et André, symboles de leur communion. Le frère Hyacinthe Destivelle, official à la section orientale du dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, revient sur l’état des relations entre ces deux Églises et l’enjeu du déplacement.
Que diriez-vous à ce jour de l'état des relations entre l'Église catholique et l'Église grecque orthodoxe, entre Rome et Constantinople, hôte de cette étape turque du voyage?
Ce sont les relations entre deux Églises sœurs, l'Église de Rome et l'Église de Constantinople qui se sont développées depuis le Concile Vatican II, puisqu’il y a eu depuis des gestes qu'on peut qualifier de «prophétiques», posés par l'évêque de Rome et le patriarche de Constantinople: la visite commune à Jérusalem en 1964; la levée des anathèmes en 1965, dont nous fêterons le 7 décembre prochain le 60ᵉ anniversaire; les visites réciproques à Constantinople et à Rome en 1967. Ces relations entre les Églises de Rome et de Constantinople sont symbolisées par les deux frères apôtres, Pierre et André, qui s'embrassent sur l'icône bien connue offerte par le patriarche Athënagoras au Pape Paul VI, qui symbolise cette embrassade des deux frères apôtres, et aussi l'embrassade des deux Églises.
Nous sommes dans la continuité de ces relations privilégiées entre l'Église de Rome et l'Église de Constantinople, avec d'abord le dialogue théologique très important, qui concerne là l'ensemble de l'Église orthodoxe, bien que le patriarcat œcuménique préside à ce dialogue lancé en 1980 et qui se poursuit actuellement de façon très fructueuse. Il y a eu un document publié en 2023 sur Primauté et synodalité au deuxième millénaire et aujourd'hui il y a des documents en préparation sur l'infaillibilité pontificale et sur le Filioque.
À l'époque du pontificat du Pape François, ces relations fraternelles se sont encore approfondies. On peut penser au pèlerinage commun du Pape François et du patriarche Bartholomée à Jérusalem en 2014, à la publication de l'encyclique Laudato si’ en 2015, qui a été aussi l'occasion de rendre hommage à l'enseignement du patriarche Bartholomée sur la question de la Création et de l'écologie, ou encore le voyage commun à Lesbos en 2016, pour attirer l'attention de l'opinion publique sur la question des migrants. Donc nous sommes dans une phase à la fois de continuité de cette amitié entre l'Église de Rome et de Constantinople, mais aussi d'approfondissement par des gestes qui sont posés au fil des décennies. Et la visite du Pape Léon s'inscrit tout à fait dans cette ligne, en l’approfondissant encore dans la mesure où il s'agit de célébrer ensemble le Concile de Nicée.
Que manque-t-il, selon vous, à la pleine unité visible avec les Églises orthodoxes?
On définit souvent la pleine unité visible entre catholiques et orthodoxes - et d'une façon générale avec tous les chrétiens, comme une pleine communion dans la foi, dans les sacrements et dans les ministères.
Alors, nous sommes déjà bien avancés sur ce chemin de la foi, puisque nous avons une foi commune qui est justement définie par le symbole de Nicée-Constantinople. Nous avons aussi bien avancé sur la question des sacrements, avec des documents qui ont été publiés par la commission de dialogue théologique international entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe dans les années 1980. Et nous sommes actuellement en train de réfléchir aux ministères, c'est à dire à la constitution de l'Église, qui est la principale pierre d'achoppement dans nos relations. La question de la primauté en lien avec la synodalité. C'est pour cela que les trois derniers documents sont très importants, ceux qui ont été adoptés ces vingt dernières années à Ravenne, Chieti et à Alexandrie, il y a deux ans.
Comment, à ce titre, recevoir la longue lettre apostolique, In unitate fidei retraçant les origines du Concile paru dimanche dernier?
Cette lettre a une dimension œcuménique très importante. Elle rappelle que le Concile de Nicée est un concile œcuménique, non pas seulement dans le sens universel, mais dans le sens où il a voulu rassembler tous les chrétiens autour d'une même profession de foi. C'est l'effort que fait également le mouvement œcuménique, depuis un siècle maintenant, d'essayer de rassembler tous les chrétiens divisés autour de la même foi, des sacrements et des ministères. Donc, l'effort de Nicée se perpétue aujourd'hui. Dans cette optique, la rencontre d’Iznik des représentants des diverses Églises s'inscrit dans cette ligne œcuménique qui a été inaugurée par Nicée.
Quel est, selon vous, le symbole de la rencontre de prière à Nicée, l’actuelle Iznik?
La prière à Iznik, près du lieu où s'est rassemblé le premier concile unique, a été centrée sur la récitation commune du symbole de Nicée. C’est évidemment un moment très important symboliquement, mais un autre temps de rencontre est d’importance. Il aura lieu ce samedi dans l'église Saint-Ephrem à Istanbul, en présence des représentants de toutes les traditions chrétiennes, avec le Pape et le patriarche Bartholomée. Ce sera une nouvelle forme d'exercer la synodalité, qu’on peut appeler œcuménique. La synodalité est d'abord une qualité interne aux Églises, mais c'est aussi une dimension que l'on peut vivre déjà entre Églises qui ne sont pas encore en pleine communion et qu'on a appelé, au Synode sur la synodalité, «la synodalité œcuménique». Le rassemblement d'Istanbul sera une forme de synodalité œcuménique qui permettra aux représentants des différentes communions chrétiennes mondiales de prier ensemble, de réfléchir ensemble et de témoigner ensemble de leur foi en Christ.
L'enjeu de cette commémoration de Nicée n'est-il pas aussi une occasion finalement toute simple de replacer la vérité du salut et de la rédemption au centre des messages, parfois brouillés par les divisions des Églises ou par des préoccupations parfois trop terrestres?
Ce sera l'occasion de nous recentrer sur ce symbole de Nicée, qui est une déclaration de foi christologique essentielle, puisqu’elle est le fondement de la foi de tous les chrétiens, du Christ vrai Dieu, vrai homme. À l'époque, il s'agissait de combattre l'arianisme qui niait la divinité du Fils. Aujourd'hui, nous sommes un peu dans la même situation. Il est difficile de témoigner de la divinité du Fils, mais le contexte est différent. Le Concile de Nicée rassemblait essentiellement des Européens d'Orient et d'Occident, mais avant tout des Européens. Aujourd'hui, le christianisme s'étend bien au-delà de l'Europe, dans le Sud global, en Asie. Donc la situation est à la fois identique dans la mesure où il est difficile de témoigner du Christ vrai Dieu, vrai homme. Mais elle est aussi différente dans la mesure où le visage de l'Église n'a rien à voir avec celui du IVᵉ siècle.
Y a-t-il par ailleurs nécessité de réaffirmer l'unité des chrétiens aussi dans le contexte des persécutions contemporaines nombreuses?
Le Pape François et à sa suite le Pape Léon XIV, ont beaucoup insisté sur cette œcuménisme du sang, sur le témoignage de sainteté que l'on peut recevoir les uns des autres comme un échange de dons. Et ce rassemblement des représentants des différentes traditions chrétiennes, à Iznik puis à Istanbul, sera l'occasion d'affirmer cette unité qui existe déjà dans le sang des martyrs et dans la persécution des chrétiens, qui rassemble tous les chrétiens de différentes traditions. Comme le disait bien souvent le Pape François, les chrétiens sont persécutés non pas parce qu'ils sont protestants, orthodoxes ou catholiques, mais parce qu'ils sont chrétiens, car ils sont baptisés. Nous sommes déjà unis en ce sens. À ce niveau, on peut rappeler les gestes importants qui ont été faits: l'insertion de Grégoire de Narek dans le martyrologe et sa proclamation comme docteur de l'Église, alors que c'est un théologien de l'Église arménienne; l'insertion des 21 martyrs coptes dans le martyrologe romain en 2023 et plus récemment, l'insertion dans le martyrologe romain de saint Isaac de Ninive. C'est une façon d'affirmer cet œcuménisme des saints. Jean-Paul II disait que nous avons, d'une certaine façon, un martyrologe commun, tous les chrétiens, constitués de saints de toutes nos églises et traditions.
Comment relever les défis majeurs de l'unité au milieu des divisions propres à chaque dénomination chrétienne?
C'est le dialogue qui doit se développer à trois niveaux. D'abord, le dialogue de la charité, c'est à dire la relation fraternelle entre les chrétiens. Ensuite, ce qu'on appelle le dialogue de la vérité, c'est à dire le dialogue théologique qui est également nécessaire parce que nous devons d’abord nous réunir dans la foi. Et ensuite le dialogue de la vie, qui est aussi très important, avec différents types d’œcuménisme: l'œcuménisme pratique autour par exemple de la justice, de la paix, des migrants, de l'écologie; l'œcuménisme pastoral, par exemple, la question de la reconnaissance du baptême ou des mariages mixtes; l'œcuménisme culturel, qui est aussi une façon importante de développer les relations autour de la culture chrétienne.
Mais bien sûr, le fondement de tout cela, c'est la prière. C'est d'abord de faire nôtre la prière du Christ lui-même pour l'unité, pour «qu'ils soient Un, pour que le monde croie», comme l'a dit Jésus à la veille de sa Passion. C'est d'abord par l'œcuménisme spirituel que les chrétiens se rapprochent les uns des autres. Comme le dit d'ailleurs le Concile Vatican II, c'est en nous rapprochant du Christ que nous pouvons nous rapprocher les uns des autres.
Quels fruits espérez-vous, à court et moyen terme, de ce premier voyage apostolique?
Le premier fruit sera d'affirmer que l'unité des chrétiens est vraiment une priorité pour l'Église catholique et en particulier pour le Pape Léon, puisque son premier voyage aura une forte dimension œcuménique, en Turquie ou au Liban. La question interreligieuse est importante, mais je pense que le premier fruit de ce voyage sera vraiment de montrer symboliquement l'importance de l'unité des chrétiens pour l'Église catholique, en particulier pour le nouveau pontificat.
Après un deuxième fruit, et cela concerne en particulier avec l'Église orthodoxe puisque ce voyage à Istanbul se réalise aussi à son invitation, sera de montrer l'importance des relations catholiques-orthodoxes qui se développent, en particulier dans le cadre du dialogue théologique.
L'unité des chrétiens dépend-elle de l'unité au sein de l'Église catholique?
L'unité se vit d'abord en chacun de nous. C'est d'ailleurs l'enseignement du décret sur l'œcuménisme Unitatis Redintegratio. L’œcuménisme, ce n'est pas d'abord une question de relations extérieures, c'est avant tout une question de conversion personnelle. Un travail à faire à la maison, en vivant mieux cette unité en nous. Chaque chrétien, chaque catholique est appelé à vivre cette unité en lui et avec Dieu. Et puis à faire l'unité autour de soi, dans l'Église catholique d'abord, bien sûr, car c'est ainsi que nous pouvons vivre l'unité avec les autres. Saint Séraphin de Sarov a cette parole merveilleuse: il disait, «acquiert un esprit de paix et tu sauveras des milliers d'âmes autour de toi». C'est d'abord en nous que l'unité commence, et ensuite cette unité pourra se développer autour de nous. Ensuite, il faut souligner que l'unité des chrétiens est importante, mais qu’il ne s’agit que d’une étape. Ce qui est encore plus important, c'est l'unité du genre humain et l'unité même de la Création tout entière et l'unité du cosmos sur ce chemin.
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