«Dilexi te» confirme les Petites Sœurs de Jésus dans leur mission
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
L’exhortation apostolique de Léon XIV, Dilexi te, porte sur l’amour du Christ qui s’incarne dans l’amour des pauvres. Cet amour, les Petites Sœurs de Jésus, congrégation féminine contemplative, s’inspirant de la spiritualité de saint Charles de Foucauld, le pratiquent au quotidien au milieu de communautés pauvres et marginalisées. Sœur Clémence, originaire de Belgique, œuvre depuis une dizaine d’années en Italie, notamment auprès de Roms de Roumanie. Elle a été invitée à la présentation à la presse de Dilexi te pour partager son expérience qu’elle nous a confiée.
Quelle est votre expérience avec la pauvreté?
Mon expérience face à la pauvreté touche différents niveaux. Il y a cette rencontre de l'autre qui vit dans une situation de pauvreté. Par exemple avec nos voisins et amis Roms avec qui on a vécu et partager le quotidien. C'était clairement des personnes qui, au niveau matériel, avaient beaucoup de besoins et de difficultés. Mais c'était aussi la découverte de ce peuple qui, bien qu'ayant des difficultés à ce niveau-là, avait aussi une grande richesse intérieure. J'ai beaucoup appris d'eux et découvert à travers leur manière de vivre, le quotidien, simplement. J'ai été très touchée par leur manière d’avoir confiance en la Providence et que chaque jour, on pouvait reprendre le chemin là où on l’avait laissé et avoir confiance dans le fait que Dieu nous accompagnerait.
Qu'est-ce que ces pauvres que vous avez pu rencontrer vous apportent du point de vue spirituel?
Pour mieux faire comprendre, je vais vous raconter une petite expérience que j’ai eue avec ces Roms. On a eu un incendie sur le terrain où nous étions et une soixantaine de baraques ont été détruites, dont la nôtre. Toutes ces familles se retrouvaient donc sans rien. Je me suis dit: “mais c'est une catastrophe!” On n'avait vraiment plus de lieu où vivre, plus de vêtements, plus de quoi gagner notre vie. Tout était à recommencer. Mais ce qui m'a beaucoup touché, c'est que ce jour-là, parmi ces gens, j'ai entendu un cri de louange, parce qu'on était tous en vie et que c'était le plus important, et que le reste, on pouvait toujours le recommencer. Je me suis dit: “combien de personnes dans notre société, diraient et feraient la même chose?“. Or eux, s'efforcent de rebondir parce que le roc, c'est le Seigneur et c'est cela qui les guide et qui est le fondement de leur vie.
Comment le Christ se manifeste chez eux selon vous?
J'ai fait des expériences très fortes. J’ai reconnu le Christ en chacun d'eux, justement dans cette capacité à prendre l'instant présent comme il est et à prendre l'autre comme il est et, par conséquent, à prendre aussi la vie comme elle vient. Cela a été pour moi une grande leçon. Il y a aussi le fait de pouvoir partager ensemble cette vie qui fait que parfois, c'est l'autre qui m'enseigne. Un jour, arrivé sur le terrain, je n'avais aucune idée de la manière dont on faisait la lessive à la main, surtout les draps. Et bien, je vois encore ces petits enfants de dix ans qui me tournaient autour - parce que tout se fait dehors, les espaces étant très petits – et qui me demandaient: “Comment tu fais la lessive? Qu'est-ce que t’as appris ta maman?” Et ce sont eux qui ont commencé à me montrer comment faire des gestes du quotidien qui étaient tout simples pour eux et que moi je ne connaissais pas. En fait, on se révèle mutuellement le visage du Christ. Eux pour moi et moi pour eux, et ensemble, on peut grandir dans la foi, grandir dans notre vie quotidienne.
Au-delà de l’aide matérielle, quel type d’aide pouvez-vous apporter à ces gens?
Je crois que le plus grand cadeau qu'on peut leur offrir, c'est reconnaître leur dignité. C'est souvent des gens qui sont marginalisés, qui sont exclus de notre société, qui sont mal vus à cause de la manière dont ils vivent. Pourtant, ils portent en eux aussi cette image du Christ, cette richesse d'une vie de foi, d'espérance, remplie de cette foi en l'avenir. L’un des plus beaux cadeaux qu'on peut leur donner, c'est cette présence attentive et respectueuse de ce qu'ils ont aussi à nous apporter dans un échange mutuel.
Comment les sortir de la pauvreté?
L'exhortation Dilexi te a essayé de donner des pistes à plusieurs niveaux. Il y a tout ce que le Pape nomme les structures de péchés qui sont là dans notre monde aujourd'hui et qui font que le monde dans lequel on vit, qui est un monde économique où il y a de valeur à tous les niveaux, fait qu'on rejette de plus en plus les gens qui n'ont pas de valeur. Il faut donc agir à ce niveau-là et agir au niveau d’une conversion personnelle de chacun, se rendre compte qu'en effet, on a tous les mêmes droits. Comment cette solidarité peut donc advenir entre nous aussi? En Incitant à faire l'aumône, en se soutenant aussi matériellement pour que tout le monde ait droit à des conditions de vie minimum. L'Église a son rôle à jouer dans les communautés, dans les paroisses, dans la manière de se faire proche et de cheminer ensemble. Les pauvres savent ce qu'ils veulent et ce n'est pas à nous de savoir pour eux. C'est une erreur qu'on fait souvent: penser que s'ils n'ont pas de maison, ils ont besoin d'une maison. Non. Demandons leur. Eux, ils savent ce dont ils ont besoin et accompagnons-les dans ces chemins-là vers plus de vie, plus de dignité, et moins de pauvreté.
Selon vous, qu'est-ce qu'ils veulent?
Je ne peux pas le dire de manière générale parce que justement je crois que chacun a son propre rêve, mais ce que tout le monde souhaite, c'est des conditions dignes pour vivre. Certains ont plus besoin d'un travail pour retrouver une dignité par le travail, d'autres ont plus besoin d'un logement parce que c'est la priorité. Il faut pouvoir être à l'écoute des situations et c'est notre rôle d'abord et avant tout d’écouter pour pouvoir cheminer et les accompagner dans leur projet.
Comment établir un rapport avec des gens qui ne sont pas nécessairement catholiques ou croyants?
Pour nous, c'est très important d'être ouvert à toute personne, quelle qu'elle soit, quelle que soit la spiritualité qu'elle porte en elle. J'ai eu différentes expériences. Un premier groupe de Roms avec qui j’ai vécu, étaient orthodoxes d'origine. Ils sont ensuite passés dans une Église pentecôtiste. Il y avait un bel échange au niveau de la foi, parce que c'était quand même des valeurs importantes pour eux et on a pu beaucoup échanger à ce niveau-là. Dans d'autres milieux où j'ai vécu, qui étaient plutôt des milieux interculturels, j'étais parmi des athées, des musulmans, des protestants. Mais là aussi, on a toujours eu un très beau partage, dans le respect de ce que chacun vit et un échange mutuel qui nous fait chacun approfondir ce qui est important pour nous et notre propre foi. Le but n'est pas ni de convertir, ni d'amener tous au Christ, mais c'est que chacun puisse vivre pleinement sa foi et ce qui est important pour lui au niveau humain, spirituel, et qu'on puisse aider à grandir ensemble.
Le Pape François disait souvent que le risque pour l'Église et pour toutes ses structures qui sont au contact des pauvres, était d'être simplement une ONG. Comment évitez-vous cet écueil?
Pour nous, c'est très particulier parce qu’on se rend compte qu'on ne peut pas être présent dans ces lieux-là si on commence à prendre la place des ONG, parce qu'on perd cette possibilité d'être à égalité avec l'autre. Si moi j'arrive et que je viens apporter à manger – même si c’est nécessaire - cela ne nous permet pas de nous rencontrer sur le même plan. Nous essayons donc vraiment d'arriver dans les mêmes conditions et avec les mêmes besoins. Par contre, on va chercher ensemble ce dont on a besoin et ce qui peut nous aider à continuer. Voilà donc notre manière de nous présenter: nous voulons avant tout être une présence proche d'eux. L'essentiel c’est de ne pas faire pour eux, mais avec eux.
On a aussi la chance qu'étant une congrégation contemplative, cette dimension de foi nous permet de s'arrêter pour prendre des temps de prière. Finalement, ce qu'on vit comme présence au Seigneur, c'est aussi ce qu'on essaye de vivre comme présence à nos voisins. Cela aussi peut nous aider, parce que nous aussi, parfois, on tombe un peu dans l'activisme quand les situations dans lesquelles on se trouve sont parfois très dures. On veut trouver des solutions, mais on se dit que finalement, tout est dans les mains d'un autre.
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